Citations de Jean-Patrick Manchette (372)
Jeudi 29 décembre 1966
Il faut m'astreindre à n'écrire ici que lorsque je suis de bonne humeur et surtout pas quand je me crois malheureux. Le chagrin rend stupide. Il ne faut pas écrire des stupidités.
Jeudi 29 décembre 1966
Aujourd'hui, ces temps-ci, je ne suis probablement sain tout à fait ni de corps ni de d'esprit. Je mesure quelque chose comme 1 mètre 75, je pèse à peu près 60 kilogs. Je suis fatiguée, j'ai une crise de foie permanente par manque de sommeil et abus de la bière. Les soucis d'argent, et ceux de Mélissa, que je ressens, me pèsent.
(...) très mécontent (...) qu’on [lui] attribuât une influence sur une tripotée de débutants qui écrivaient n’importe quoi n’importe comment pourvu qu’ils puissent y manifester leur haine des riches, des militaires, des politiciens et des prêtres, et leur tendresse pour les travailleurs, la lutte des classes, parfois le terrorisme, et généralement telle ou telle forme de marxisme dégradé…
(Lettre à sa traductrice allemande)
Notre genre a été saisi par le marché donc par le commentaire. Nous devons tolérer que le polar soit à présent disséqué par des universitaires et des journalistes. Des professeurs et des ethnologues, certains venus d’Amérique et du Japon, viennent ajouter leur intérêt à celui des crétins locaux.
Les pauvres, les travailleurs ni leurs quartiers n’intéressent Aimée. Ce sont les riches qui l’intéressent et elle allait seulement où il y a l’argent.
Il y avait un grand miroir au mur de la salle de bains et la jeune fille se regarda dedans. Elle essaya plusieurs vêtements neufs qui lui plaisaient. Elle se regarda également nue et n’aima pas ce qu’elle voyait. Elle se trouvait garçonnière, charpentée comme un cheval, les seins trop plats, les épaules trop musclées, les hanches trop étroites et la taille pas assez fine. Ses cheveux très noirs, mi-longs, soigneusement arrangés et frisés artificiellement à leurs extrémités, semblaient une perruque. Bref, elle avait l’air d’un travelo récemment opéré.
Dans le roman criminel violent et réaliste à l’américaine (roman noir), l’ordre du Droit n’est pas bon, il est transitoire et en contradiction avec lui-même. Autrement dit le Mal domine historiquement. La domination du Mal est sociale et politique. Le pouvoir social et politique est exercé par des salauds. Plus précisément, des capitalistes sans scrupules, alliés ou identiques à des gangsters groupés en organisations, ont à leur solde les politiciens, journalistes et autres idéologues, ainsi que la justice et la police, et des hommes de main. Ceci sur tout le territoire, où ces gens divisés en clans, luttent entre eux par tous les moyens pour s’emparer des marchés et des profits. On reconnaît là une image grossièrement analogue à celle que la critique révolutionnaire a de la société capitaliste en général. C’est une évidence.
...nous sommes allés voir "Peau d'âne". C'est d'une laideur absolue, et dépourvu entièrement de la moindre idée. Seul intérêt, on voit Delphine Seyrig sans soutien-gorge et l'on constate que sa poitrine tient bien.
Perrin et Deneuve sont à chier, les costumes et décor dignes de la foire de Paris. La musique de Michel Legrand est plus mauvaise encore qu'a l'ordinaire.
La technique - notamment la post-synchro - est mauvaise.
Ca pue. Et, comme j'ai dit, nous sommes partis avant la fin, furieux.
Bonnie and Clyde est interdit. La censure demande plus d'une demi-heure de coupes. Cependant, Mme Pompidou a des intérêts dans les maisons de mode qui préparent la mode Bonnie And Clyde.
Donc, à suivre.
Rien en tout cas encore une fois des feuillistes qui affirment sempiternellement de tel ou tel ouvrage qu'il est d'avantage qu'une "roman policier". Le roman noir, grandes têtes molles, ne vous a pas attendus pour se faire une stature que la plupart des écoles romanesques de ce siècle ont échoué à attendre.
JPM, 1995
-Est-ce qu'il est mort ? demanda-t-elle?
-Oui, dit Aimée. Il est mort.
-Salope, dit Sonia Lorque.
-Alors ç'a été comme une vraie illumination, tu vois, dit-elle au baron. On peut les tuer. Les gros cons, on peut les tuer. D'autre part je voulais de l'argent mais je n'avais pas envie de travailler.
-C'est logique, dit le baron.
-Remarquez, c'est un travail aussi, ce que je fais, dit Aimée en recommençant à voussoyer le baron.
« L’imagination, pour moi, n’est qu’une réaction à une référence donnée. »
Jean-Patrick Manchette, Mystère Magazine n°306
Dans la bagnole, ce qui a le plus intéressé Memphis Charles, c'est le paquet de Malboro et l'allume-cigares automatique qu'elle a dégottés, le premier dans le vide-poche, le second au tableau de bord. Elle s'est dépêché d'allumer une tige et, du reste, a proposé de me la passer. Je lui ai dit que ça foutait le cancer et elle n'a pas insisté, elle ne m'a même pas ri au nez, elle devait être vraiment au plus bas.
Il secoua la tête d’un air rêveur, comme s’il avait découvert une vérité profonde et la contemplait.
– M’sieur Tarpon ? Vous êtes bien détective privé ?
– Et qu’est-ce qui fait que vous venez me trouver ?
D’où tenez-vous mon nom ? (J’ai pensé que c’était une bonne question : ils la posent souvent dans les films américains.)
Il est possible que j'aie cette année le besoin, ou simplement l'envie, d'exécuter rapidement un court polar à publier dans la Série Noire, pour voir si je peux toujours gagner 5 briques vite fait. Un tel polar ne serait signé J.-P. Manchette, car je réserve mon nom pour le projet toujours vivace, mais lourd, d'un cycle romanesque qui, s'il se réalise, paraîtra plutôt dans La Noire. Je ne veux pas revenir à la SN en tant que Manchette parce que la SN n'est plus la collection mythique qu'elle fut. Côtoyer Hammett et Chandler, très bien ! Côtoyer Thierry Jonquet, non merci. (lettre à Philippe Labro du 2 juin 1992)
Depuis six mois un pauvre con me tanne à intervalles réguliers pour que je fasse un « pamphlet ». Peu lui importe le sujet. Le sujet d'ensemble, m'a-t-il dit, c'est « les médecins sont des cons » ou « les écrivains sont des cons » ou « les cinéastes sont des cons ». Effectivement, il ne serait pas très difficile de torcher un « pamphlet » dans ce sens. Aussi cet honnête homme ne comprend-il pas pourquoi je suis évasif. Et nous, nous comprenons. (lettre à Pierre Siniac du 29/30 septembre 1977)
— Salut, petit pourri, dit Desroziers qui était militant écologiste, délégué C. F. D. T. et portait un jean et un pull noir et avec qui Gerfaut avait milité au début des années soixante à la fédération de Seine-banlieue du P. S. U., dans la fraction s. r. Ça palabre, ça palabre, dit-il. Je suis entré boire un verre. (Et en effet Desroziers avait sorti la bouteille de Cutty Sark et il était en train de s’envoyer une grosse quantité dans un gobelet en carton.) Tu permets tout de même que je boive ton whisky, non
–Vous devez rester à la disposition de la police, a-t-il affirmé.
–Je fais ce que je peux, j'ai dit. Vous devriez me prendre en filature, ce serait plus sûr.