Matthieu le fils, le court roman de Jean-Paul Belly, lauréat des « 5èmes Gouttes d’Or du roman » organisées par l’association Du Souffle sous la plume, s’ouvre sur la description d’un paysage contrasté, verte vallée humide au milieu de laquelle se dresse un causse désolé à la beauté sauvage, quelque part dans la région du Limousin, en 1938. Contrairement à une pratique littéraire qui tend de plus en plus à happer l’attention du lecteur par l’irruption d’un élément perturbateur dès les premières lignes d’un récit, l’auteur laisse ici le temps à son lecteur de s’imprégner d’abord de l’atmosphère envoûtante de ce décor âpre et vertigineux, soufflant le chaud et le froid sur les âmes qui s’entêtent à vivre accrochées à ses flancs.
Au cœur de cette nature souveraine, baignée de superstitions et de soupçons de sorcellerie, stigmates de son lointain passé celte, se dessinent lentement deux portraits, celui d’un homme, Matthieu le fils, et d’une femme, Jeanne la Bossue. Adam et Eve du causse, le pays d’en haut, tous deux vivent à l’unisson des forces telluriques qui partout murmurent dans les entrailles de la terre. Ils pourraient y être seuls au monde, seuls dignes de jouir de cet Éden primitif. Mais il y a les autres, ceux du pays d’en bas, des gens rudes, rustiques, à la violence chevillée au cœur. On a retrouvé un jour, au pied des murailles du causse, le corps sans vie, mutilé, profané, d’une jeune fille de seize ans, originaire du village de Nardaillac. Depuis, Matthieu le fils est poursuivi par les étranges apparitions d’une biche blanche, blessée au poitrail. Une angoisse insidieuse le ronge. Pour la première fois de sa vie, il connaît la peur.
Qui a commis cet acte innommable ? L’auteur éveille quelques soupçons, sans toutefois révéler l’entière vérité à son lecteur. Mais est-il vraiment important de la connaître ? Pas si l’on considère que Matthieu le fils n’est pas un thriller dans le sens classique du terme, mais plutôt un roman de guerre, celle qui se livre entre l’innocence et la barbarie. Innocence symbolisée par l’union de Jeanne et Matthieu, la biche blanche surnaturelle, ou encore la jeune fille insouciante de Nardaillac. Barbarie représentée quant à elle par la blessure de la biche, les ignobles traitements infligés aux enfants rebelles du pays, des scènes insoutenables d’équarrissage de bêtes dans les abattoirs ou l’assassinat d’une innocente. Une barbarie en fin de compte ordinaire, qui colle désespérément à la peau de l’espèce humaine, une barbarie préfigurant les futures horreurs de la guerre qui va ravager l’Europe et qui menace déjà aux frontières...
L’écriture de Jean-Paul Belly est aussi envoûtante que le pays qu’elle décrit. Fluide, élégante, poétique, mais également émaillée de discrètes pointes d’humour pour contrebalancer la noirceur du récit, elle nous emmène au cœur du causse corrézien et de ses mystères, aux côtés d’hommes et de femmes appartenant à un passé aujourd’hui révolu, mais dont les fantômes doivent encore, soufflés par un vent mauvais, arpenter ces terres inhospitalières qui ne se donnent entièrement qu’à ceux qui la méritent. Un vrai plaisir de lecture !
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