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Citations de Jean-Paul Delfino (278)


Dans le silence recueilli qui suivit ses propos, il ajouta, la lippe molle: «On va perdre tout ça. Le petit noir du matin, le blanc du midi, le rouge taquin d'après la sieste et le jaune du soir. Quelle misère... » Madame Jouve, parigote pur jus née en Alsace mais accueillie par la capitale dès le lendemain de sa naissance, promena un regard désolé sur sa maigre clientèle du matin, celle des fidèles, des amis, des piliers. Outre La Guigne et Petit Pois, Cothurne et Gégène étaient là, eux aussi. Installés sous la verrière, les yeux collés aux colonnes de chiffres de Paris Turf, le cœur déjà sautillant à l’idée de toucher le quinté dans l'ordre, au moins une fois dans leur vie. ils avaient la tristesse pudique. L'inéluctable était aux portes. Le billet vert serait le fossoyeur de leurs années de jeunesse. Ils le savaient. Le jour fatidique de la fermeture du rideau n'avait pas encore été arrêté. Mais il viendrait. En attendant, ils ruminaient leur malheur en solitaire. Ils préféraient désapprouver en silence plutôt que de rajouter du mal au mal.
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Anselme (...) martela, saisi par une fièvre renouvelée: « Si vous savez trouver les mots, les mots justes, ceux qui savent toucher au cœur, vous séduirez votre inconnue lorsque le moment sera venu de lui parler. Choisissez avec intelligence les bons vocables, traduisez en termes bien sentis toutes les finesses de vos sentiments, et vous verrez. Votre inconnue ne vous considérera plus comme un prétendant semblable à tous les autres, à tous ceux qui vous ont précédé. Pour elle, et par l'unique magie de vos mots, vous deviendrez une possibilité d'amour, une porte d'entrée conduisant vers une grande histoire.

⁃ Vous croyez ?

- Non. J'en suis certain. Car, voyez-vous, mon jeune ami, c’est bien là tout le grand drame de notre siècle. Nous ne savons plus parler. Et, si nous n’en sommes plus capables, c'est parce que nous abandonnons notre langage pour nous contenter de la facilité. En bons moutons de Panurge gros et gras, bêlants et soumis, nous acceptons notre sort et disons oui à tout. Nous parlons en acronymes, en anglais de basse extraction, en phrases toutes faites qui, à force d'avoir été utilisées à tort et à travers, ne signifient plus rien. Ce faisant, hélas, nous ne savons plus parler d'amour.

- Donc, si je parle mieux, vous dites que mon inconnue sera...

- Évidemment! Cela ne fait aucun doute ! ».
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Vous n'approfondissez jamais la chose. Et c'est une erreur. Une erreur que je qualifierais même de funeste.

- Ma foi... Je ne m'en suis pas si mal sorti, jusqu'ici. Pourquoi j'approfondirais ?

- Mais pour être plus fort, que diantre ! Si le dictionnaire dispose de tant de mots, de tant de nuances, c'est parce que c'est dans le détail que se cache le diable. Il s'y niche et s'y repaît avec extase ! Savoir désigner une chose ou exprimer un sentiment, c’est tenir le monde entier entre ses mains. Maîtrisez le langage et vous maîtriserez le monde ! Pataugez dans l'à-peu-près, et vous n'avancerez pas d'un pouce. Regardez votre généraliste ou votre neurologue.

⁃ Quel rapport ?

- Lorsque vous êtes allé les voir, ils vous ont submerge, enseveli sous un jargon dont vous n'avez pas compris la première lettre. Et c’est parce que vous étiez ignorant que vous avez accepté leurs discours sans rechigner ni réclamer. Vous êtes allé les consulter avec la même innocence qu'un veau se rendant à l'abattoir. Il en va de même avec la majorité des politiciens qui, eux, ont saisi depuis longtemps l'impérieuse nécessité de savoir parler afin de mieux mentir. Laissez-vous déposséder des mots et vous ne serez, au final, qu'un ignare à qui l'on pourra faire prendre des vessies pour des lanternes... »
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- Monsieur Sentiero, vous m'emmerdez à faire votre péronnelle. Si je vous assure que ce livre a été écrit pour vous, c’est parce que c'est la vérité, qu'elle vous plaise ou non. Alors, prenez-le et lisez-le.

- Et si je n'y arrive pas ? Je ne lis que les journaux, moi. Et encore, que les journaux de sport, de temps en temps. »

D'un revers de main définitif, le vieux balaya l’argument. Puis, il gronda : « Ce livre vous appartient. Et ceux qui ne lisent pas, ceux qui n'ont jamais lu, c'est simplement parce qu'ils n'ont jamais eu entre les mains l'ouvrage qui leur convenait. C'est l'histoire de la clé. Je vous l'ai déjà racontée. Et c'est une formidable responsabilité, pour un libraire, que d'ouvrir les portes de la littérature à des gens qui, comme vous, sont encore vierges du frisson romanesque. Alors, embarquez-moi ce foutu bouquin et ne venez plus me casser mes vieilles roubignoles. »
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Tout en bourrant sa pipe, celui-ci reprit : « Etre cocu, on en fait toujours tout une histoire. Les hommes comme les femmes. Et ensuite ? C'est tout de même moins grave que d'attraper la diphtérie, le tétanos ou d'être amputé d'un bras, vous ne pensez pas ?

- Vu comme ça...

- Mais dites-moi, ce dénommé FIingot, comme vous l'appelez, c'est quel genre d'olibrius ? Un bas du front ? Un jocrisse ? Un ilote, peut-être ? »

S'apercevant que son commis écarquillait les yeux pour marquer son incompréhension, Anselme précisa aussitôt : « En d'autres termes: est-ce que c’est un abruti ? Un anchois sans envergure ? Ou un matamore ? J'entends, l'un de ces fiers-à-bras, de ces tranche-montagnes qui se vantent de tout ce qu'ils ont accompli pour mieux taire ce qu'ils n'ont jamais eu le courage d'entreprendre ?

- Non. C'est plutôt un bon gars. Bien sûr, il n'a pas fait les grandes écoles. Mais c'est le genre toujours prêt à rendre service.
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Après un long sifflement censé marquer une surprise matinée d'une pointe d'inquiétude, le conducteur insista: « Tu m’étonnes que t’y aies rien compris. Et c’est grave ?

- Tu connais les docteurs. Tu vas les voir pour un mal de tête et tu ressors avec un cancer du cerveau. Ils ont volontiers le discours inquiétant. Parfois, tu as même l'impression que, s'ils ne t'ont pas foutu la trouille, ils n'ont pas bien fait leur boulot.
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Théo avait fini par s'habituer à ces coups de grisou qui frappaient sans prévenir dans le silence et faisaient trembler jusqu'aux poutres noircies au brou de noix des plafonds. Ainsi, ce jour où, bien malgré lui, il avait ânonné le dernier mot d'un titre d'ouvrage traitant de religion et de spiritualité. Sous les tâches de moisissure noires et violettes, il avait déchiffré de son mieux: « Vie de saint Antoine le Grand, patri.. . patria...

-Patriarche.

- C'est ça : Vie de saint Antoine le Grand, patriarche des céno... des cénobites ? »

Le rire, à son corps défendant, était monté dans sa gorge, et le libraire, subitement ulcéré, s'était exclamé: « Qu'est-ce qui vous prend ? Pourquoi riez-vous ?

Je ne ris pas !

~ Si. Je vous ai déjà dit que j'étais aveugle et pas sourd, non ? Alors ? »

Luttant de son mieux contre cette hilarité qui lui saisissait le ventre, Théo articula de son mieux: « C'est vrai que c’est un mot qui n'est pas banal : cénobite. Et son auteur, en plus...

- Quoi, son auteur ?

- II s'appelle Verge ! »

Aussitôt, la main d'un Anselme exaspéré s'abattit sur le plateau du bureau, faisant tanguer sur leur base les tours de Pise qui y étaient disposées. Les lèvres secouées par de petits tics d’indignation, il s'emporta: «Verger, pas Verge ! Triple buse ! Espèce de sybarite de l'ignorance ! Imbécile heureux ! C'est La Vie de saint Antoine le Grand, patriarche des cénobites ! Par l'abbé Verger ! 1890 !

Vous êtes un pornocrate doublé d'un érotomane aux petits pieds, laissez-moi vous le dire! »
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Les deux mains élégamment posées sur le pommeau de son parapluie qui ne le quittait jamais, Erik Satie se rengorgea, partagé entre l'envie de sourire et celle de protester. A bientôt cinquante-neuf ans, il avait enfilé les existences comme d'autres les conquêtes féminines, ne s'attachant à aucune, glissant sur les modes comme sur les cercles de pouvoir et les chapelles, se protégeant du Tout-Paris grâce à une carapace patiemment ciselée dans l'humour, le mépris silencieux ou le sarcasme.
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Le vieil homme, alors, se rencogna dans son assise. Pour la première fois, une pointe de nostalgie affleura sur son visage. Sa voix se fit murmure et il finit par confier: « J'ai écrit pour elle. Mal, sans doute. Mais j'ai écrit.

— Et ça n’a pas marché ?

— C’est plus compliqué que cela. Disons que j’ai écrit, mais qu'elle n'a pas su, ou qu'elle n'a pas voulu me lire. Avec les femmes, allez comprendre. Comme disait en substance Jules Muraire*, le plus grand acteur de tous les temps , les femmes sont des animaux très compliqués. Elles sont pires que les montres suisses. Et la mienne, il faut croire qu elle était valaisanne. »

Nb : Jules Muraire = Raimu
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Mais je vais vous expliquer ce qu'est un cénobite, petit aliboron infatué. C'est un moine qui s'est retiré du monde. Un peu comme moi, à la différence près que je ne place pas tous mes espoirs de salut dans un dieu, mais bien dans le Verbe et ses secrets inépuisables. »

D'une voix plus feutrée, Anselme Guilledoux raconta alors non pas toute son existence — car celle-ci avait été tumultueuse et se perdait dans des tours et des détours infinis -, mais bien les raisons pour lesquelles, un jour, il avait décidé d'ouvrir les Bonheurs d'Antioche.

« Je l'ai fait, expliqua-t-il, pour vivre avec les mots. Les mots, et non les histoires. Qu'importe que cela vous semble bizarre, pour ne pas dire douteux. Tel fut mon choix, et je le fis en pleine conscience.

- Les histoires ne vous intéressent pas ?

- Après une existence passée à les parcourir, je peux affirmer quelles se ressemblent toutes. Prenez Roméo et Juliette de Shakespeare d'un côté, Titanic de l'autre. Les histoires sont identiques. À quelques détails et un naufrage près, je vous l'accorde. Mais ce sont les mêmes ressorts, et personne de sensé ne devrait se lancer dans l'écriture d'un roman sans être conscient de cela : toutes les histoires ont déjà été racontées. Elles n’ont donc qu'un intérêt mineur et se résument le plus souvent à des prétextes. Les mots, en revanche... »

Comme Théo s asseyait sur un carton pour l'écouter, le vieux libraire, en alchimiste s’apprêtant à révéler le secret de la pierre philosophale, confia: « Les mots, mon jeune ami, c'est là que réside le pouvoir véritable. D'ailleurs, Dieu lui-même ne s'y est pas trompé. La première phrase de la Bible dit, en effet, ceci : "Au commencement était le Verbe." Est-ce que vous percevez bien tout le poids de cette assertion ? "Au commencement était le Verbe..."
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Si seulement les hommes pouvaient regarder le monde comme ils regardent les femmes dont ils tombent amoureux... Si cela arrivait, il n’y aurait certainement pas assez d'encre ni de papier pour relater toute la beauté de ce petit caillou bleu que nous piétinons du lever au coucher, en armées imbéciles et sans but.
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(…) les endroits appartiennent à ceux qui les occupent. Les Nègres sont interdits dans les belles maisons des Blancs, sauf à l'office ou pour nettoyer les jardins. La Petite Afrique, elle, elle appartient aux Nègres et aux mulâtres.
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Avant de replonger dans l'étroit goulot de sa tanière, Anselme Guilledoux ajouta, en adressant un sourire au vent mauvais qui s'était levé : « Un jour, je vous dirai Socrate. C’était un vieux fou de Grec, un philosophe. Encore un que des imbéciles ont condamné pour avoir raisonné par trop différemment des autres. En substance, ce grand penseur, qui n'a d'ailleurs jamais rien écrit, disait que le chemin qui va de soi à soi fait le tour de la terre. Suivez vos pieds, mon jeune ami. Suivez-les, car ils en savent certainement sur le sujet de la destinée bien plus que vous et moi réunis. Ne tardez plus à prendre la route. .. »
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Pour ce petit homme falot, taiseux, voire mutique, son monde - celui des livres - se séparait en deux parties. Il y avait ceux qui apportaient des réponses et ceux qui posaient des questions. Tous, sans exception, entraient dans ce schéma simpliste et le monde pouvait tourner rond. Tous, sauf la Bible. Pour Cothurne, ce livre saint ne faisait ni l'un ni l'autre, ou bien les deux à la fois. Il en avait conclu que la Bible était mal écrite et il avait fait le serment que ce serait lui qui, lorsque le temps serait venu, réécrirait les Évangiles. À ce jour, personne ne savait s'il avait commencé sa vaste entreprise et chacun, d'ailleurs, s'en foutait royalement, du tiers comme du quart.
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Je dédie ce livre à toutes les femmes et tous les hommes, victimes de la dictature économique, qui survivent dans une société où le verbe avoir l'emporte sur le verbe être et où la liberté individuelle s'arrête où commence la liberté d'entreprise.
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Si l'on désirait être tout à fait exact, il fallait préciser que Théophraste Sendero n'avait jamais lu de roman. Si l'on exceptait les pensums scolaires, il était pour ainsi dire vierge de toute lecture. Bien entendu, il consultait chaque jour les gros titres des journaux qui s'étalaient sur les présentoirs du Calabrais qui tenait le kiosque tout proche. Il lui arrivait même de parcourir des articles entiers dans L'Equipe ou Le Parisien. Mais des livres ? Jamais. De façon confuse, il sentait bien qu'il passait sans doute à côté d'un univers formidable, d'un univers de fantasmes empli de bruits, de fureur et d'amour. Peu importait. Aujourd'hui, il lui semblait évident qu'il avait passé l'âge de l'émerveillement. Pour lui, le livre ne pouvait être que synonyme d'un profond ennui, voire de temps perdu. Et il éprouvait une apprehension instinctive face à la chose écrite, même lorsqu'il faisait le pied de grue devant la vitrine de la librairie Chandeigne. D'ailleurs, il n'en avait jamais poussé la porte. Les couvertures, c'était suffisant pour rêver. Il les admirait comme il le faisait avec les élégantes Parisiennes qui, nez en l'air, passaient parfois devant lui. Certaines étaient d'une beauté à tenter les plus fidèles des hommes, les intégristes du mariage et de la monogamie. Mais celles-ci ne jouaient pas dans le même bac à sable que lui.
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Il faut lire pour voir le monde qui nous entoure à travers les yeux des autres.
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" Le vrai patriotisme, c'est celui qui concilie la patrie et l'humanité. "

( Nabuco de Araujo)
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" Je préférais encore quand tu disais rien…
- Quoi ?
- Quand on parle pas, au moins, on dit pas de bêtises. (…) "
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De toute façon, je ne connais rien de plus barbant que les littérateurs qui parlent de leurs bouquins. Ils se croient toujours obligés d'expliquer pourquoi et comment ils ont écrit telle ou telle chose, et pas telle autre. Mais quand le lecteur ouvre un bouquin, il n'a pas de notice d'explication, que je sache. Le livre marche tout seul ou bien il ne marche pas.
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