Citations de Jean-Paul Dubois (1848)
Dans le noir, ruisselante, la cathédrale ressemble à un gros corbeau mort. Je plains les pauvres humains qui ont tué leurs vies à bâtir ces palaces du christianisme. Des granges en bois auraient fait l'affaire. Et je me dis qu'il ne faut vraiment croire en rien pour faire monter des hommes au sommet des clochers.
En revanche, la démence météorologique que nous subissons, une Europe sous les eaux, l'incapacité des spécialistes à comprendre réellement le phénomène et à envisager la suite ne semblent pas le tracasser, à l'exception de l'installation, sur son trottoir, de madriers posés sur briques, qu'il doit emprunter pour se rendre chez lui. Le monde coule, le Gulf Stream lâche peu à peu l'affaire, et Guzman accepte de se noyer, soit, mais devant chez lui, et les pieds au sec.
Je n'osais rien dire à Rebecca, laquelle, en bonne catholique, croyait toujours au miracle. Elle continuait de fréquenter son église le dimanche et s'achetait parfois un brin d'illusion en faisant brûler un cierge pour le saint de son choix.
Pour répondre à la question de Guzman - "était-il un fervent catholique?" - je serai tenté de m'aligner sur les propos d'Arnaud Amaury, ce bienveillant légat du pape auquel on demandait comment, dans la ville de Béziers, distinguer les gens de Dieu des hérétiques, et qui s'en remit à sa merveilleuse foi : "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens".
Tout ira bien. N'oubliez pas de respirer à fond. Ne souriez pas, il n'y a rien de mieux qu'une bonne oxygénation pour abaisser son indice d'inquiétude.
Rebecca était catholique. Je dirais qu'elle appartenait au club mais sans le moindre fanatisme. Elle pratiquait discrètement, un peu comme on va à la salle de sport, une fois par semaine pour s'entretenir. Peut-être quelques génuflexions, des signes de croix par-ci par-là, une confession de temps en temps, tel était le secret de sa forme religieuse.
(pages 75-76)
Dans le bâtiment ce sont des fous. Il faut le savoir. Ils sont vraiment tous fous. Ça fait quarante ans que je suis dans le métier et je ne m’y suis jamais habitué. Les plus dingues de tous, ce sont les plombiers. Je ne prends plus un contrat si un plombier doit travailler en même temps que moi.
Khaled semblait terrifié par cette corporation dont l’irresponsabilité était, paraît-il, proverbiale. En tout cas, il les décrivait comme une caste d’imprévisibles et irréductibles kamikazes.
Sans doute avait elle tous les charmes de la jeunesse, souplesse, brillance et fermeté, mais il lui manquait le savoir, la patine, la juteuse sensualité des femmes de plus de 40 ans.
Traverser la forêt de ses peurs pour accéder à ces émotions secrètes, ces infimes parcelles de bonheur qui sont n nous, tapies dans un endroit que nous ignorons, et que, souvent, nous recherchons pendant toute une vie.
"La solitude me pousse à reconsidérer mon comportement en permanence. C'est inévitable. Tenir simplement debout, droit, se sentir stable. En ce moment, c'est mon ambition première. Je crois n'avoir jamais durablement ressenti cette sensation. Toute mon histoire repose sur un déséquilibre permanent"
[p. 224]
Les médicaments ralentissaient un peu mon idéation mais n'altéraient pas ma lucidité. Je savais qu'en réduisant progressivement les doses tout rentrerait dans l'ordre.
Le doigt n'appuyait pas naturellement sur le piston de la seringue. Il fallait que le cerveau insiste, aille parfois jusqu'à contraindre la main, tordre le poignet. Personne ne nous avait appris à éteindre des vies, à voir s'en aller quelqu'un sur notre injonction. Au contraire. On nous avait enseigné que c'était là le privilège des dieux, ce que, fort heureusement nous n'avions jamais été.
Pour eux, il n'était plus question d'apaiser, de soulager, de réconforter ou de sauvegarder quoi que ce soit. À ce stade, avec tout ce qu'ils avaient enduré, souffert, le mot de dignité n'avait plus de sens. Seule la mort pouvait les sortir de là. Au plus vite. En urgence. Et sans discuter de choses inutiles.
Les reflux zigbyens remontaient toute l'aigreur hépatique de leur maitre.
Il y aurait tant à dire sur cet apprentissage silencieux du bonheur. Ce qu'il apporte comme assurance et équilibre. Mes tuteurs m'ont astreint aux exercices inverses, ceux qui vous apprennent à vous verrouiller de l'intérieur, à ne rien attendre, rien espérer, à vivre "on your own" comme disent les Anglais, qui peut se traduire par "sur tes ressources", en n'oubliant jamais que derrière cette expression déjà déplaisante à prononcer se cache un sous-texte qui te précise "sans compter sur l'aide de quiconque". Vivre "on your own" ne mène jamais très loin. L'usage du monde rétrécit année après année, et les ressources diminuent. [...]
L'amour s'apprend par capillarité. Au jour le jour. En un goutte-à-goutte silencieux qui se délivre sous nos yeux. L'enfant apprend avec les yeux. En reniflant les molécules qui flottent dans l'air, quand il voit la main de son père caresser la nuque de sa mère, la bouche de sa mère embrasser le cou de son père, quand il observe tout cela, il sait que c'est bien, que c'est bon, qu'on peut appeler ça l'amour ou comme l'on veut, mais que c'est agréable d'être avec quelqu'un qui un soir vous dit : " Tu es mon amour et moi le tien, ça tombe bien."
Un détail est parfois la discrète signature d'une âme.
Ce qu'Anna appelait le monde réel était l'univers des affaires, un globe suffisant et mature régi par des gens avisés, responsables, embauchant à la petite cuillère, licenciant à grands seaux, transformant habilement le travail en une denrée aussi rare que le cobalt et dressant des générations entières à l'humiliant exercice de la génuflexion.
Dans son genre, mon père est une galerie d'art conceptuel, à mi-chemin du MoMa et d'Alcatraz.
J’ai du mal à croire que tout ceci ait encore un sens. J’ai du mal à croire que j’aie pu séjourner, ne serait-ce que quelques instants, dans les testicules et le scrotum de Thomas Lanski, mon père. J’ai du mal à croire que ma mère, Marta Sorensen, Suédoise native d’Uppsala, ait pu, un jour, pour quelque raison que ce soit, l’accueillir en elle et jouir de ses impatiences. J’ai du mal à croire que je sois parvenu à survivre de cet éjaculat. Et toujours je me demanderai pourquoi le destin ne m’a pas fait partager ce soir-là le sort de millions de mes frères emportés dans le vortex d’un vieux bidet d’aisances et le frottis vaginal d’un coton de linge de toilette. (…) Mon frère jumeau et moi, gamètes aveugles de trois microns de large et soixante de long, éparpillés dans cette nuée brouillonne, avons survécu et sommes malencontreusement sortis du lot. Ce fut là notre péché originel.
Mais avant d'en finir et pour être tout à fait complet avec Watson, il me faut vous raconter un rêve. Le plus beau rêve de ma vie. En relief, avec les lumières du ciel et les odeurs de la mer.
Watson et moi nous promenions en silence. Je le regardais et je me disais que j'avais une chance incroyable de partager la vie d'un pareil animal. Alors on s'est assis par terre, côte à côte. J'ai commencé à m'adresser à lui comme je le fais souvent. Et puis j'ai dit: "Tu imagines si tu parlais, la vie qu'on aurait? On pourrait discuter pendant des heures , ce serait génial." Il y eut un silence, puis une petite voix d'enfant dit: "Mais je parle. Je parle depuis toujours, mais tu ne me l'avais jamais demandé."