les matins - Union européenne : comment en sommes-nous arrivés là ? .
Jean Quatremer, journaliste à Libération, spécialiste de l?Europe, auteur du blog « Les Coulisses de Bruxelles ». Jean-Paul Fitoussi, économiste, professeur émérite à sciences-po, directeur de recherche à l?OFCE. Vient de publier Le théorème du lampadaire (Les Liens qui Libèrent).
Tout est donc déraisonnable dans ce qu'il advient du monde aujourd'hui
La référence au collectif a été un moyen fondamental de satisfaction des besoins individuels. Les normes sociales et les institutions communes servaient et aidaient à conquérir sa place. Aujourd'hui, l'avenir des individus est moins lié à un destin commun. Il n'a plus la possibilité de se reposer sur une action collective pour résoudre ses difficultés ou faire avancer ses revendications. La société fait peser sur l'individu seul le double impératif d'une perpétuelle amélioration et d'une permanente estime de soi qui sont les ressorts tant de la vie personnelle que de l’action professionnelle.
Je tiens l'expression "réforme structurelle" pour emblématique de la novlangue. Son vide est sidéral, puisqu'elle désigne à la fois tout et rien. Elle est le bien. Tout gouvernement digne de ce nom doit procéder à des réformes structurelles. Il y va de sa crédibilité et de sa réputation auprès de ses pairs. Tout dysfonctionnement économique actuel est réputé provenir de l'absence de réformes structurelles passées(...).

* Savez-vous que la novlangue est la seule langue dont le vocabulaire diminue chaque année ? * George Orwell, 1984.
Nous avons souvent l'impression d'être pris dans un discours creux et pauvre en informations. Cette impression est renforcée par les pratiques de certains médias, surtout audiovisuels, qui semblent être passés insensiblement de l'information à la communication et de la communication à la propagande, ce qui n'est pas sans créer un sentiment de malaise tant cette pratique est orthogonale à la démocratie. Le même discours est prononcé par l'ensemble des personnes qui disposent d'une tribune pour parler, que celle-ci leur soit fournie par les médias, le politique, l'université ou l'argent. C'est dire si son influence est grande. Nous devenons ainsi témoins de la création d'une nouvelle langue, que nous nous efforçons de comprendre et de parler sans pleinement réaliser qu'elle nous impose une pensée prédigérée, un peu comme la novlangue de 1984.
Cette évolution et la dégradation en cours de la démocratie sont liées, la relation qui s'établit entre le présumé sachant et le supposé ignorant étant propice à la manipulation. J'en donnerai plusieurs exemples dans ce livre.
Chapitre 1. Les mots pour le dire.
La novlangue est devenue notre langue. Nous la parlons tous, car nous avons très difficilement accès à une autre langue que les gens soient disposés à écouter. Le politiquement correct, l'économiquement correct, le socialement correct exercent sur nous une pression telle qu'elle nous conduit à l'autocensure.(...) Mais c'est une logique binaire qui organise la novlangue (...) La novlangue enferme les discussions dans cette logique binaire qui accroît partout la violence des contreverses politiques.
Chapitre 7. Les prouesses de la novlangue.