Orties et fleurs …
Patientes aussi
sont les graines du désespoir.
Et le vieil homme échoué
au bord du printemps
sent renaître en lui les chiendents
que l’hiver ne tue pas.
Naguère encore il espérait
qu’il s’en délivrerait.
Désormais oublieux
des chemins trop sûrs
il se contente de regarder
orties et fleurs s’entremêler.
La mer passe
d’une crique à l’autre.
Les plans bleutés s’étagent
L’horizon indéfiniment repoussé
s’efface dans le blanc du ciel.
Rochers et arbres vivent sans cris.
Le temps s’en va avec les fleurs
les nuages les eaux
des lointaines cascades.
Sur le rivage
l’homme attend l’improbable.
Tant d'années sont tombées
en poudre sur les chemins.
Combien fidèle cependant
la mémoire
qui enfouit les images
dans les couches du coeur
où ne peut atteindre le temps.
Brume épaisse dans les gorges
et jusqu’au sommet des monts.
Le sentier de celui qui marche
seul parmi rocs et cascades
se déchiffre pas à pas.
Que le voyageur oublie
d’où il vient
où il va.
Il ne peut s’égarer
s’il ne se laisse troubler
par les mots.
Je ne lui demande pas grand-chose : la voir de temps à autre, l'écouter, la regarder, ça me suffit bien. Tout cela jusqu'à ma mort et j'aurai été un homme. Sinon, sans amour, on ne doit pas être davantage qu'une pierre. Je crois bien qu'il faut aimer, n'importe quoi, mais aimer.
Pour avoir traîné à ma suite quelques-uns de ces penseurs suffisants, je connais cette engeance d'explorateurs statiques, va-t-en guerre rassis, qui n'ont d'autre désir que d'arrêter le mouvement, de borner l'espace où les hommes aiment à s'aventurer. Retirés dans le cercle étroit de leur esprit, ils n'ont de cesse qu'ils n'aient réduit l'homme à quelque formules, règles, théories, grâce auxquelles, ensuite, s'estimant quittes de tout risque, ils évitent les expériences qui les contraindraient à s'engager corps et âme. Comme une armée débandée dès avant le combat, ils se replient toujours sur des positions qu'ils estiment sûres, puis, là, se reposent indéfiniment sur leurs acquis. Je n'ai, quant à moi, d'autres horizons que l'inconnu, l'exceptionnel, la démesure.
Je me souviens fort bien du jour où nous apprîmes qu'il nous serait désormais interdit de chanter. Journaux, radios, télévision nous informèrent que tout individu, ou tout groupe, surpris à chanter, en privé ou en public, accompagné ou non d'instruments de musique, serait arrêté séance tenante et emprisonné sans jugement. Tentatives d'explication et justifications suivirent : le temps consacré au chant était non seulement perdu mais volé ; le chant menaçait les intérêts vitaux de la nation ; avant d'être le symptôme le plus clair de l'agonie des sociétés, le chant était cause de leur décadence.
Eaux gelées
montagnes ruisselantes
noirs archets des arbres
lancés très haut dans le ciel.
Le chemin dans le vaste
est peu sûr.
Que l’homme suive ce ruban étroit
au long des précipices.
Qu’il ne se retourne pas.
Il parviendra à un ermitage
dressé dans la lumière
- au bord du vide.
Ici présente
la vie même.
Et tout à coup
l'absence comme une pierre
comme des pierres
une à une enfoncées dans l'âme.
Passages
À Pierre-Albert Jourdan
extrait 6
Ce front criblé de foudres
croit encore au tranchant des orages.
Qu’il soit jeté au pied de murs plus hostiles !
Qu’on l’accole à quelque brèche
à une plaie dans les murs du temps !
Là
un soir
une heure
le temps d’une aube furtive
qu’il voit naître et mourir
l’image tant cherchée.
Qu’il apprenne à désespérer.
Ce monde de parages
d’alentours
n’est pas demeure
mais qu’il nous faille sans cesse
tourner le dos
et ruiner toute assise durable
c’est là notre intègre fortune.
Quittons ces parvis.
Allons aux mers
chaque jour déliées
des rives qu’elles fécondent.
…