Jean-Paul Lacroix

page 34 [...] Ah! la terrible disgrâce pour un père, que d'avoir un enfant "pas comme les autres"! Déjà, quand Frank était tout gamin, il fuyait les jeux collectifs. Laissant ses petits camarades arracher les ailes des mouches ou empaler les chats sur un bâton pointu, il courait se cacher dans les bois. Là, il marchait pendant des heures, récitant à haute voix du Miguel Zamacoïs (le seul poète qu'il connût à l'époque), ou cueillant des fleurs sauvages pour les mettre dans son herbier.
Quant à son travail en classe, parlons-en! Il lisait "Le Grand Meaulnes" ou "Les Contes d'Andersen" pendant les cours de math, au lieu d'acquérir les quelques rudiments de calcul sans lesquels il n'est pas de cambrioleur de banque digne de ce nom.
Mais c'est un peu plus tard, quand il eut dix-huit ans, que ses mauvais instincts se déchainèrent vraiment.
Il n'avait pourtant autour de lui que d'excellents exemples. Les autres jeunes gens de bonne famille -les fils des lieutenants de son père, par exemple- se réunissaient bien sagement tous les jeudis pour fumer de l'opium ou la marijuana, en écoutant les derniers disques des chanteurs de charme. Certains, parmi les plus doués, s'exerçaient à la traite des blanches et à la contrebande d'armes. Bref, c'étaient déjà de petits hommes.
Loup parmi des agneaux, Frank bouscula les traditions les plus respectables. [...]