Jean-Paul Vespini

Comment parler d'un livre qui, en une trentaine d'histoires, nous rappelle celle de cette épreuve populaire qui fédérait nombre de spectateurs autour de héros terriblement humains, dans leur grandeur comme dans leurs défaillances? A la radio pour ceux qui travaillaient, devant le poste de télé pour les plus chanceux, et sur le bord de la route pour les plus fans.

Par un exemple, celui de "l'ogre de Tervueren", Eddy Merckx.

1975, étape de montagne Nice-Pra Loup. Le quintuple vainqueur du tour file vers sa sixième couronne, en tête du classement général, laissant miroiter la possibilité de détrôner le roi Anquetil au palmarès des cyclistes de légende... personne ne semble en mesure de l'inquiéter. Luis Ocaña, le rival le plus féroce, a abandonné. Poulidor, 39 ans, n'en parlons pas.

Il reste Thévenet, à 58 secondes seulement, Joop Zoetemelk, et le petit grimpeur belge, Lucien Van Impe... Dernière ascension, la retransmission (TF1) commence : "Merckx est seul, il n’a plus que 4 km à parcourir, mais son allure surprend. Le Belge pédale dans un rythme saccadé, ses avant-bras secouent son vélo à l’arraché, c’est flagrant, c’est surprenant, Merckx n’a plus d’énergie, sa tête oscille sous les coups de butoir de ses épaules, il peine, la tête penchée en avant, collée à son cintre, le corps plié en deux par la douleur de l’effort et l’incapacité d’avancer plus vite".

C'est fini. le corps ne répond plus, la mécanique jusqu'alors bien huilée s'enraye, il se fait rattraper puis doubler par celui que les fans de vélo allaient appeler "nanar" qui en profite pour gagner l'étape et décrocher la tunique jaune.

"À Paris, le Tour se terminait pour la première fois sur les Champs-Élysées et Bernard Thévenet recevait son maillot jaune des mains de Valéry Giscard d’Estaing, le président de la République."

Ce sont ces défaillances, ces retournements, ces imperfections possibles qui ont fait la légende du tour de France.

Et c'est quand on a commencé à les évacuer, via des substances licites et illicites prises de manière scientifique, un encadrement de métronome et des vélos sans doute en partie autonomes que la communion avec une partie des spectateurs a cessé.

Il reste ces belles histoires.

L'histoire extraordinaire d'une légende du cyclisme. Gino Bartali est surtout connu pour sa rivalité légendaire avec Fausto Coppi et pour ses nombreuses victoires. Ce qui est moins connu c'est la vie privée que cet homme a vécu en parallèle. Vivant son sport dans une Italie mussolinienne et une Europe qui connaît la montée du fascisme, Gino passera sa vie à résister à sa manière et à tenter de poursuivre sa carrière sportive professionnelle. Ce livre retrace de façon chronologique la carrière et la vie de Bartali en faisant systématiquement le parallèle avec les événements historiques du pays et d'Europe. Gino Bartali, symbole de la réussite Italienne est pris malgré lui comme vitrine de cette Italie mussolinienne. Or, elle ne correspond en rien à ses valeurs et il le revendique. Cela n'est pas sans conséquence. On se retrouve plongé dans une histoire difficile mais passionnante.

Anquetil, Poulidor, Merckx sont des grands cyclistes des années soixante et soixante-dix.

Ces grands noms du cyclisme revenaient souvent dans la bouche des commentateurs, lors des retransmissions des étapes du Tour de France, que je regardais avec mon grand-père. Ce livre m'a rappelé cette époque.

Lucien Aimar, champion cycliste victorieux sur le Tour de France 1966 et le journaliste Jean-Paul Vespini nous rapportent de nombreuses anecdotes ainsi que des faits de courses illustrant "l'amateurisme" de l'époque par rapport à aujourd'hui.

Lucien Aimar ne pratique pas la langue de bois, dommage qu'il n'en dise pas davantage au chapitre du dopage.

Ce livre ne s'adresse uniquement aux amateurs de cyclisme d'antan.