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3.75/5 (sur 2 notes)

Nationalité : France
Biographie :

Après de brèves études d'architecture aux Beaux-Arts de Paris et un doctorat universitaire de Physique, Jean-Philippe Brunet est devenu chercheur aux Etats-Unis où il a développé des méthodes de reconnaissance de formes appliquées à la recherche contre le cancer. Il est aussi l'auteur d'écrits sur la peinture, et de romans.

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Citations et extraits (6) Ajouter une citation
Depuis l’élection du pape Alexandre VII en avril de cette année 1655, Rome est en construction.
Pour atteindre l’arc du Portugal qui enjambe le Corso, Battista Passerotti doit se faufiler entre les matériaux de construction, les charrettes, débris, murs abattus, maisons écroulées, devantures enfoncées. Asphyxié par la poussière, assourdi par le heurt des marteaux, sautillant sans souci des ouvriers qui lui crient de s’écarter, Battista ne peut s’empêcher de tendre le poing en direction des hauteurs du Quirinal où le pape s’est réfugié.
Alexandre avait pourtant bonne réputation.
On le disait sobre et hanté par la mort. On disait qu’il avait fait profession d’une vie évangélique, qu’il avait coutume de faire fumer sa viande avec de la cendre, de dormir sur un lit dur, qu’il avait la haine des richesses, de la pompe, qu’il donnait audience aux ambassadeurs devant un amas de crânes amoncelés.
Mais que serait Rome sans les racontars ? Les libellistes les placardent au coin des rues, sur les murs de maisons, les portes des palais, et surtout sur la statue mutilée du Pasquin, contorsionnée, couverte de pamphlets devant lesquels tout Rome vient se tordre de rire.
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Sitôt parvenue aux portes de la Cité de Dieu, les jeunes âmes m’assaillirent.
— Toi qui viens de Paris, raconte-nous !
— Toi qui fus l’âme de Charles Baudelaire, comment c’était ?
L’ascension m’avait épuisée. Ici, où tout n’est que luxe, calme et volupté, je n’aspirais qu’au repos éternel. Mais les jeunes âmes ne l’entendaient pas ainsi. Elles voulaient tout savoir de ma vie antérieure ; elles voulaient tout connaître de mes années profondes.
Leur curiosité est bien compréhensible. Toutes veulent être l’âme d’un poète. Mais ce n’est pas chose facile. On est secouée, ballottée ; on monte, on descend, c’est alternativement exaltant et dangereux. Dans mon cas ce fut pire.

Quant à Paris, en disant la vérité sur ce qu’il est devenu, je crains de faire perdre aux jeunes âmes leurs illusions, cet aliment si nécessaire à leur élan. D’un autre côté je ne peux me résigner à mentir, et ce dilemme me déchire.

Pour le résoudre, je cherchais une formule d’introduction suffisamment équivoque. Alors m’est revenue cette réaction que Charles avait eue en franchissant le nouveau Carrousel du Louvre.
— Le vieux Paris n'est plus…
— La forme d'une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d'un mortel, reprirent en chœur les jeunes âmes qui toutes connaissent les vers du Cygne, le meilleur poème de nos Fleurs du Mal.
Puis elles éclatent de rire.
Mais en moi, c’est un autre chant qui s’élève.
Horrible vie ! Horrible ville !
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Lettre à la main, Laurent de Médicis surnommé le Magnifique se laissa glisser sur une chaise.
La goutte et ses maux d’estomac lui tirèrent une plainte sitôt étouffée. Légèrement voûté, peau olivâtre, nez aplati, mâchoire en manche de poêle, la masse de ses cheveux tombait sur un visage disgracieux au possible, mais que l’origine prestigieuse de sa famille et l’intensité de la réflexion ennoblissaient. Ses longues mains aux doigts fins, habiles à manier le style des poètes, émergeaient des manches de sa robe rouge de citoyen florentin, boutonnée jusqu’au col et ourlée de léopard.
Le pape est soucieux de paix avant tout, écrivait son correspondant à Rome. C’est un homme d'un caractère faible plutôt fait pour se laisser gouverner que pour gouverner les autres.
Le Magnifique passa son doigt sur la cicatrice qu’il avait gardée au cou.
La conspiration des Pazzi, l’assassinat de son frère, la culpabilité de Sixte IV, il était prêt à les mettre de côté, sans toutefois les oublier. Sa revanche serait autre. L’élection d’Innocent VIII au trône pontifical était l’occasion de reprendre son ascendant sur Rome.
Mais pour cela, il lui fallait des espions au Vatican.
Or les ambassades florentines, soupçonnées d’introduire des agents de renseignement, étaient étroitement surveillées. Les hommes de lettres et les artistes commandités par la Seigneurie pour écouter aux portes avaient pareillement échoué et le Magnifique était à court d’idées.
Son secrétaire particulier, Niccolò Michelozzi, qui jusque-là était resté silencieux, se mit alors à parler.
— Et si on envoyait un imbécile ?
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« Mais il plut à Dieu de façonner l’homme de chair, formant ainsi la charpente du squelette, la reliant aux nerfs, y ajoutant muscles, artères, cartilages, veines, et la peau la plus délicate. Alors il releva le front, modela le nez, ouvrit la bouche, abaissa la mâchoire, creusa les oreilles, sépara les cheveux, arrondit les épaules, élargit la poitrine, allongea les bras, modela les mains, étira les flancs, rendit les cuisses musculeuses, les jambes nerveuses, et les plaça sur la solide assise des pieds. Et tel un peintre suprême, il trempa son pinceau dans la blancheur des lys, le vermillon des roses, et en teinta les joues et les lèvres et tout le reste du corps. »
À la lecture de ce texte, une image surgit : celle de Francis Bacon bataillant à Londres devant une de ses Études de corps humains, déformant les silhouettes, équarrissant les corps, labourant les chairs, retournant les visages dans le sens inverse de celui du Créateur, afin de l’y croiser peut-être ?
C’est en fait un extrait de l’introduction à
Vita di Giacopo Robusti detto il Tintoretto, celebre pittore, cittadino venetiano, biographie vénitienne de Jacopo Robusti (1519-1594), dit Tintoret, dont la maison est toujours sise au bord du canal de Campo dei Mori dans le Cannaregio de Venise, et que presque exactement quatre siècles séparent de Francis Bacon (1909-1992), dont l’atelier se trouvait au-dessus d’une ancienne écurie de Reece Mews à South Kensington, qui était encore au début des années 1960 un district peu recommandable de Londres.
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Une ombre s’avança, tu étais devant moi.

Mocassins noirs, jupe écossaise, longs cheveux noirs, sourcils arqués, pupilles noires elles aussi. Parce que tu étais grande et parce que j’étais assis, ton visage se détachait sur le feuillage des arbres, dans les hauteurs, avec un peu de ciel derrière l’oreille droite qu’une mèche de tes cheveux ramenée en arrière avait dégagée. Tu paraissais intriguée, presque mécontente, mais ce n’était de ta part qu’une moue, une modulation de ton expression naturelle.

Tu consentis à t’asseoir sur ce banc vétuste et j’esquissais ta silhouette à traits rapides, reprenant la courbe de ton épaule, caressant avec de la mie de pain ta joue sur le papier, arquant ton sourcil, fronçant plus que ne l’avait fait la nature le pli de tes lèvres. Pour tes cheveux noirs il m’eut fallu une encre.

Sérieuse, tu tâchais d’apercevoir de temps en temps par-dessus mon bloc de papier que je tenais incliné. Mon regard sur toi ne te gênait pas. Tu n’y voyais que l’œil du peintre. Mais bientôt tu manifestas des signes d’impatience, tes traits commencèrent à se froncer, ta moue naturelle s’accentua, une ombre passa sur ton visage et il y eut comme un assombrissement de toute ta personne. C’était comme une nappe de brume s’approchant d’un étang, quelque chose de triste et d’inattendu. Je suivais avec curiosité cette alté-ration dont j’eus aimé saisir les étapes, mais tu ne m’en laissais pas le loisir et je voyais le moment où tu allais te lever comme les marins disent que la tempête se lève.
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Mais c'est surtout la tonalité sombre de la toile de Caravaggino traversée de lueurs qui me replongea subitement dans l'atmosphère de ces années là, au cœur de cette énigme de la grande peinture que j'avais pressentie dans l'église de Santa Maria Maddalena avec Isabella, que j'ai voulu cerner comme un insecte tourne autour de la flemme qui finira par le brûler, et dont le secret m'échappe encore.
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