13e édition du Prix Psychologies-Fnac de l'Essai 2019. le Prix Spécial est décerné à Jean-Philippe Domecq pour son livre "L'amie, la mort, le fils" dédié à Anne Dufourmantelle (éd. Thierry Marchaisse).
"Un texte d'une qualité extraordinaire, d'une sensibilité, d'une poésie, d'une profondeur et, j'ose le mot, d'une spiritualité qui ne dit pas son nom étonnante. Un livre absolument bouleversant, très difficile à qualifier, hors de tout, et je pense même hors de lui-même" (Christilla Pellé-Douël, Psychologies Magazine, extrait du discours de remise du Prix).
Présentation du livre :
Anne Dufourmantelle a péri le 21 juillet 2017 pour sauver des enfants de la noyade en Méditerranée, dont le propre fils de l'auteur.
Elle était psychanalyste, philosophe, romancière, auteure d'une oeuvre reconnue de par le monde. Sa notoriété culturelle ne suffit pourtant pas à expliquer l'émotion considérable qui s'est répandue à l'annonce de sa mort, en France et au-delà, jusqu'auprès de gens qui ne l'avaient jamais lue ni entendue.
Ce récit de chagrin livre le portrait d'une femme exceptionnelle, en même temps qu'il médite sur les rapports père-fils, l'origine du sacré et l'aura d'un être qui avait « la passion de l'amitié »
En savoir plus : http://www.editions-marchaisse.fr/catalogue-lamie-la-mort-le-fils.html
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La mort n’est rien à côté d’une mort.
On n’a aucune envie de guérir d’un chagrin - le chagrin est tout ce qu’il y a de fidèle.
Ainsi, nous l’avions bien discernée, Anne ; ainsi il y a un magnétisme des êtres que notre rationalité occidentale ne peut certes appréhender mais qui constitue une autre dimension humaine, qui elle aussi crée de la valeur, les avancées, fait l’Histoire.

...il y eut bien oppression, culturelle, au cours de ce demi-siècle d'art.
Qui de nous ,n'a vu ces enfants des écoles que l'on fait défiler, au nom de l'initiation à l'art-qui-rompt, devant les œuvres que j'ai mentionnées au chapitre précédent, carrés de métal au sol (Carl André), télégramme de On Kawara indiquant à son galeriste qu'il est à telle heure à tel endroit, série de chiffres qu'aligne de toile en toile Roman Opalka, toiles lacérées de Fontana, retournées de Rutault, rayées de Barré, peintes à l'envers par Baselitz, et le bleu Klein, et le néon de Flavin, la savonnette géante de Fabrice Hybert, grand prix de la biennale de Venise, le carrelage du précédent lauréat français de la même biennale, les horloges identiques, alignées sur le mur et indiquant chacune l'horaire sur tel point de la planète, avec marteau à côté de chaque horloge (Vilmouth), les photos du couple Gilbert et George, le pigeon naturalisé que Dietman a posé sur un tas de fiente en bronze - bref, qui n'a vu ces générations de jeunes qu'une " pédagogie d'éveil" et de "formation à l'art vivant" a traînés devant ces produits les plus cotés et commentés de l'art dit contemporain? Et il fallut admirer, apprécier, "s'ouvrir"...
Mesure-ton bien la restriction des facultés réflexives sensibles et imaginatives, la fermeture d'esprit et de désir que de telles œuvres entraînent, et la responsabilité qu'on a prise pour l'avenir ? Sent-on bien que ce n'est pas sans conséquences qu'on soumet le boîtier crânien à pareilles œillères, et qu'on y soumet d'autant plus efficacement qu'on le fait avec les meilleures intentions démocratiques du monde ?
Les témoins rapportent qu’une femme annonça à la foule la mort de Robespierre par un rébus, «montrant sa robe puis une borne de pierre, et passant la main devant le cou» (p. 288). Jusqu’à ses toutes dernières pages fébriles, pressées de décrire l’exécution qui a eu lieu l’après-midi du 10 thermidor An II (27 juillet 1794), l’ouvrage de Jean-Philippe Domecq n’aura eu de cesse de tenter d’élucider, par des voies littéraires, l’énigme de la chute de l’Incorruptible qui illustre de façon remarquable le mot de Saint-Just : «L'homme obligé de s'isoler du monde et de lui-même jette son ancre dans l'avenir».
C’était de la jeunesse aisée que ces jeunes, et même de la jeunesse tout court, qui avait donc le temps ou les moyens ou les deux, qui pouvait se permettre disons de palabrer surf, planche à voile et giclées toute la sainte journée, foin du laconisme là pour le coup, autant ça se la fermait totalement sur la particulière plage, autant ça se l’ouvrait totalement avant et après, dès le tardif lever de cette jeunesse qu’on pourrait dire aisée mais qu’y a-t-il de particulièrement « aisé » à se lever à midi lorsqu’on se couche à l’aube (oui, c’était le rythme), hein ? Tout ça pour dire que, du lever à l’arrivée sur plage, ça ne causait plus que technique et affect, sauts réussis au millième près et relations surprises à la seconde, là ça y allait les commentaires et c’est logique : ça ne vivait que pour ça, l’été, et toute l’année pour l’été.
En attendant, imaginez-vous ce ciel, un soir, ce ciel qui se met à ne plus bouger, comme jamais ciel, aucun ! Et qui pire, se tend, tire… À la fin on se rabat sur le temps, que voulez-vous !… On regarde sa montre ! Et on ne cesse plus. On n’en décolle pas. Ni du cadran ni d’autrui car là au moins. On n’a pas intérêt. On rentre la tête dans les épaules, on reste dans l’humain, le temps étant de l’humain pur, donc les montres, à fond – l’humain, l’entre nous, rien que l’entre, en attendant des jours meilleurs, voilà tout ce qui nous reste à faire quand arrive Autre Chose.
On croit bêtement que c’est les sensibles qui rêvent, mais non, ils sont bien trop occupés par l’angoisse. Eh bien il était du genre, en corsé, à craindre crise de femme plus que mort d’homme – ceci pour dire. Pour dire l’effet que ça lui faisait : comme une aiguille au cœur soudain il sentait, avant elle, qu’en elle ça montait : cette vibration dans l’air… non, pas ça, pitié, dites-moi que ce n’est pas ça, tu ne vas pas recommencer, dis, tu ne vas pas… il tournait la tête vers elle, ou vers le mur derrière lequel elle campait : hélas la nappe, la nappe d’ondes…
Parce que même ça c’est bizarre dans la vie, pour peu qu’on y pense, même cette tendance à observer le semblable – toutes nos tendances, en fait, le sont, bizarres. Même les désagréables – même les agréables, c’est dire. Tout est bizarre dans la vie. Même quand on le sait – la preuve : on sait pertinemment qu’on ne peut s’empêcher d’observer les gens, eh bien ça n’empêche pas, ça reste bizarre. Et pourquoi les observe-t-on, hein, pourquoi leur suppose-t-on des choses ? Parce qu’on aimerait bien savoir, au fond, comment ils font.
Dans les années 90, tout le monde connaît Momo à Belleville. C'est un enfant du quartier. Il rend toutes sortes de services en disant qu'il travaille à Canal. Un soir, il se retrouve dans une fête pleine de chair et de poudre. Les femmes sont des stars, les hommes sont puissants. Tout clignote de partout. Un coup, Momo est dans le noir; un coup, Momo est dans la blanche, mais au dernier coup, c'est le gars de la météo qui est dans Momo.