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Citations de Jean-Philippe Toussaint (481)


Je veux saisir Monet là, à cet instant précis où il pousse la porte de l’atelier dans le jour naissant encore gris. C’est le moment du jour que je préfère, c’est l’heure bénie où l’œuvre nous attend. L’aube est fraîche, l’air vif picote les joues. Il est un peu plus de six heures et demie du matin, pas un bruit au loin dans la maison endormie qu’on vient de quitter, quelques pépiements d’oiseaux dans le jardin où les arbres sont immobiles comme le silence. C’est un de ces matins du monde comme il y en a tous les jours en Normandie dans les villages que bordent l’Eure et la Seine. Nous sommes à l’été 1916. Depuis quelques mois, Monet a pris possession du grand atelier qu’il s’est fait construire en haut de son jardin pour pouvoir travailler sur les vastes formats des panneaux des Nymphéas.
(Incipit)
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Elle ne m'avait pas regardé, elle avait simplement soulevé la main à côté d'elle et avait pris la mienne avec naturel, et ce geste si tendre qui m'emplit d'apaisement, ce geste si inattendu, me parut aussi surprenant que si les deux navires que nous avions sous les yeux, abandonnant un instant la froideur impassible avec laquelle ils cohabitaient dans le port, s'étaient soudain rapprochés dans un geste de tendresse. Je sentis la main de Marie humide contre ma paume, et je savourai aussitôt physiquement, comme à titre exclusivement privé, la pertinence de cette loi physique universelle qui veut que deux corps qui entrent en contact ont tendance à égaliser leur température.
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"[..] quand on va voir quelqu'un dans un cimetière, il est naturel qu'on ne le voie pas, il est normal qu'on ne le trouve pas, car on ne peut pas le trouver, jamais, c'est à son absence qu'on est confronté, à son absence irrémédiable."
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De la même manière qu'il faut plusieurs centaines de kilos d'arbustes aromatiques pour produire, par distillation, un flacon d'essence de romarin, il faut beaucoup de vie réelle pour obtenir le concentré d'une seule page de fiction.
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Ce n’est pas un cap tranché que l’on franchit, où il y aurait un avant (l’âge mûr) et un après (la vieillesse), comme il y aurait une frontière nette entre la jeunesse et l’âge mur, c’est un processus continu, insidieux, tel celui qui transforme notre visage d’adolescent en celui de vieux monsieur à barbe blanche — quoique Monet n’ait jamais eu de visage d’adolescent, ni même d’âge mûr, la postérité l’a figé à jamais dans sa silhouette de vieillard légendaire, en chapeau et barbe blanche, dans les jardins de Giverny.
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Je passais mes mains sur son visage, et je la regardais. La main et le regard, il n'est jamais question que de cela dans la vie, en amour, en art.
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Nous nous aimions, mais nous ne nous supportions plus. Il y avait ceci, dans notre amour, que, même si nous continuions à nous faire plus de bien que de mal, le peu de mal que nous nous faisions nous était devenu insupportable.
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Par ailleurs, je voudrais dissiper deux malentendus .
1) La littérature n'a pas pour vocation de raconter des histoires.
2) L'écrivain n'a pas à délivrer de message.
La littérature est un art. Dans le meilleur des cas, il peut se dégager d'un livre une vision du monde, un rythme, une énergie, et un échange d'intelligence et de sensibilité peut s'opérer entre l'auteur et le lecteur. C'est ce qui se passe en général avec les livres des grands auteurs, reconnus par la critique et l'université.

(p.38)
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Non, l'art n'est jamais " simple et sincère". Quand il atteint des sommets, l'art est "fantastiquement trompeur et complexe", s'écrie Nabokov.

(p.159)
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J'ignorais, à ce moment-là, qu'un jour j'écrirais des livres. J'ignorais qu'écrire des livres, au-delà du plaisir que j'y prendrais, serait un moyen de me préserver des offenses de la vie. car si j'écris, si un jour je me suis mis à écrire, c'est peut-être précisément pour ériger une défense contre les arêtes coupantes du réel.

(p.74)
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Je veux saisir Monet là, à cet instant précis où il entre dans l'atelier. Devant lui, le long des murs, ce ne sont que paysages d'eau et de lumière, fragments de branches inclinées de saules pleureurs, reflets bleutés, ciels, transparences. Longtemps, Monet n'a eu aucune idée de ce qu'il allait faire de ces grands panneaux décoratifs auxquels il travaille depuis des années.
C'est la fin de la guerre, et l'intense soulagement qu'elle lui procure, qui lui fera trouver leur destination finale.
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(…) à l’époque, j’ignorais que tout joueur d’échecs de bon niveau est capable de jouer une partie à l’aveugle, et même, avec un peu de pratique et d’entraînement spécifique, d’affronter plusieurs adversaires sans voir l’échiquier. En 1933, Alekhine, ouvrant le bal, s’était ainsi mesuré à l’aveugle à trente-deux adversaires, et, le record, aujourd’hui, est détenu par un grand maître qui s’est servi de la méthode mnémotechnique dite du palais de la mémoire pour affronter simultanément quarante-huit adversaires. Ce Timour Gareïev, originaire d’Ouzbékistan, a choisi de faire son show en 2016 en direct de Las Vegas, et, pour l’aider dans sa performance, il avait exigé un accessoire particulier, auquel je n’aurais pas pensé spontanément, une bicyclette de fitness. Pendant toute la durée de la simultanée, il avait pédalé lentement sur son vélo d’appartement, les yeux bandés, seul au milieu du cercle de ses adversaires assis devant leurs échiquiers.
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La femme du secrétaire d'Etat, assez grosse jeune personne élégante, passa pratiquement tout l'après-midi sur la terrasse, assise sur un fauteuil en osier, les genoux à hauteur du visage, oeuvrant à s'épiler les jambes avec une minuscule pince de toilette. De temps à autre, relevant lassement la tête, elle regardait sous ses cheveux qui avait l'outrecuidance de lui adresser la parole - et soupirait. Non, elle ne voulait rien boire. Non, elle ne voulait pas aller se promener. ce qu'elle voulait, c'est qu'on la laisse tranquille : elle avait encore du pain sur la planche, l'été approchait.
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Cette bonté foncière, qu'on perçoit sur cette photo dans les yeux de l'enfant que j'étais, l'adulte que je suis devenu a du l'enfouir, la contenir, la dissimuler, la vie m'a appris à la brider, à la tenir secrète.

(p.61)
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Le premier livre que j'ai écrit, au début des années 1980, s'appelait Echecs, il racontait l'histoire d'un championnat du monde d'échecs qui durait dix mille parties, qui durait toute la vie, qui était la vie même.

(o.26)
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Tous les matins, lorsqu'il rentre dans l'atelier, Monet prend congé du monde. Il passe le seuil, et, devant lui, de l'autre côté de la porte, encore invisible, immatériel, c'est l'art qui l'attend.
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(...) je voulais que ce livre soit une réflexion plus ample sur la littérature, je voulais que ce livre dise l'origine de ce livre, qu'il en dise la génèse, qu'il en dise la maturation et le cours et qu'il le dise en temps réel; (...) Je voulais que ce livre soit sensible, concret, malicieux, humain, ombrageux, imprévu, généreux, je voulais que ce livre soit tout à la fois un journal intime et la chronique d'une pandémie...

(p.189)

Qu'impôrte ce que je recherche à travers l'écriture, qu'importe, finalement, ce que les livres racontent,l'écriture est cet abri mental dans lequel je me réfugie pour résister au monde.

(p.193)
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Alors, que décider ? C'est l'éternelle question, faut-il traduire ce que l'auteur a écrit ou ce qu'il a voulu dire ?

(p.134)
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Et, jouissant de ce point de vue imprenable sur la ville, je me mis alors à l'appeler de mes vœux, ce grand tremblement de terre tant redouté, souhaitant dans une sorte d'élan grandiose qu'il survînt à l'instant devant moi, à la seconde même, et fît tout disparaître sous mes yeux, réduisant là Tokyo en cendres, en ruines et en désolation, abolissant la ville et ma fatigue, le temps et mes amours mortes.
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Il m'apprit que les machines [de minage de bitcoins] tournaient sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sur l'ensemble des sites dont la société assurait l'exploitation, ce qui représentait une consommation d'électricité phénoménale, m'avoua-t-il sans le moindre état d'âme, comme s'il tirait fierté de cette démesure, indifférent au gaspillage énergétique que cela pouvait constituer pour l'environnement. Pour me donner une idée, leurs factures d'électricité se montaient à près de 200 000 yuans, soit près de vingt-cinq mille euros mensuels.
Page 104
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"L'hiver, la Glavoise est un torrent boueux dont les flots tumultueux charrient des arbres morts, des rochers noirs et des sangliers surgelés. Pourtant, sitôt passées les dernières neiges de mai, elle se métamorphose en une rivière paisible qu'on traverse à pied sec au lieudit du Gué-de-la-Corde. C'est là que le voyageur qui arrive à Courtonac par la route de Saint-Hilaire franchit la Glavoise, au Roc-de-la-Châtre. Un peu en aval, la route en pierre traverse le moulin abandonné du père Plasson. Devant le triste spectacle des ronces qui dévorent les meulines à foulon et les flaterets à courroie, on a bien du mal à croire que, jadis, les ânes, les boeufs et les femmes de Courtonac déchargeaient là leurs ballots de bressac frais pour qu'on les y moulût. Solide comme un linteau, son éternelle bamborgne à la bouche, le père Plasson transformait ici les précieuses gousses en une fécule à cataplasme, délicate comme de la peau d'oreille et fraîche comme un cul de pouliche." "Les engoulevents de la Grange-aux-Loups" est un pastiche des romans signés:

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