Colloque de rentrée 2013 : Science et démocratie
Conférence du jeudi 17 octobre 2013 : Science et démocratie : discussion
Intervenant(s) : Jean-Pierre Dupuy, Philosophe, Professeur à l'Université de Stanford
Retrouvez la présentation et les vidéos du colloque :
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L'humanité aura à choisir entre l'Apocalypse et la conversion, qui est le renoncement à la violence.
La crise qui accompagne l'effondrement d'un ordre hiérarchique porte un nom, que nous a légué un mythe grec : la panique. (...)
Or l'analyse empirique des phénomènes de panique révèle que la panique est un mal de l'intérieur : elle ne se déploie dans toute sa force destructrice que pour autant elle est déjà contenue dans l'ordre qu'elle abat.
La santé structurelle ou symbolique de l'homme, c'est sa capacité de faire face consciemment et de façon autonome, non seulement aux dangers du milieu, mais plus profondément à une série de menaces intimes, que tout homme connaît et connaîtra toujours et qui ont nom, douleur, maladie et mort.
Cette capacité, l'homme des sociétés traditionnelles l'a toujours tirée de sa culture, qui lui permettait de donner sens à sa condition mortelle. Le sacré y tenait un rôle fondamental.
Le monde moderne est né sur les décombres des systèmes symboliques traditionnels, en lesquels il n'a su voir que de l'irrationnel et de l’arbitraire.
Dans son entreprise de démystification, il n'a pas compris que ces systèmes impliquaient que des limites soient fixées à la condition humaine, tout en leur donnant sens.
En remplaçant le sacré par la raison et la science, il a perdu tout sens des limites et par là même c'est le sens qu'il a sacrifié.
Non seulement on doit rattacher l'économie à la religion si l'on veut en comprendre le sens, mais...l'économie occupe la place laissée vacante par le processus, de nature éminemment religieuse, de désacralisation du monde qui caractérise la modernité.
Le caractère débilitant de la spécialisation est largement responsable de cette inculture (…)
Se spécialiser à outrance constitue ainsi la meilleure manière de se protéger, comme dans le champ économique. Chacun en sait énormément sur son petit tout petit bout de territoire et il n'a dans le monde qu'une dizaine de pairs, qui sont aussi des rivaux.
Ne parlons pas du passé : pourquoi perdre son temps à appendre l'histoire de la discipline, puisque la science, c'est bien connu, progresse asymptotiquement vers la vérité ? (…) c'est comme si la science avait commencé il y a trois ans.
Pour qu'une activité intellectuelle devienne culture, il faut au moins qu'elle soit capable d'un retour réflexif sur elle-même intense et qu'elle entre en communication avec ce qui n'est pas elle.
La science hyper concurrentielle, hyper spécialisée est tout sauf une activité culturelle.
S'abandonner à l'optimisme scientiste qui compte uniquement sur la technique pour sortir des impasses où nous a mis la technique, c'est courir le risque d'engendrer des monstres qui nous dévoreront. (p. 135)
Les économistes utilisaient naguère l'expression en forme d'oxymore : la « concurrence pure et parfaite" pour asseoir cette dénégation.
Cette formule signifiait que les gens n'avaient en fait pas besoin de se rencontrer ni d'échanger autre chose que des marchandises,encore moins de s'aimer, pour former une société efficace et pacifiée.
Cette utopie en forme de cauchemar est peut-être le prix à payer par une société désormais dépourvue des protections que le sacré lui assurait.
L' économie, à la fois réalité et pensée, occupe en creux la place
du sacré. Elle en est la marque suprême.
Le rapport à la violence constitue l'énigme centrale du religieux :comment ce dernier peut-il, en la matière être à la fois remède et poison ?
Cette coïncidence est inscrite dans la langue grecque, qui n'a qu'un mot pour les deux notions opposés : pharmakon.
Ce mot vient lui-même de pharmakos que l'on peut traduire par l'expression bouc-émissaire
Lorsqu'on aime un être, on n'aime pas une liste de caractéristiques, fussent-elles si exhaustives qu'elles suffisent à distinguer !'être en question de tous les autres.
La contrefaçon la plus parfaite laisse encore échapper quelque chose, et c'est ce quelque chose qui est !'essence de l'amour, ce pauvre mot qui dit tout et n'explique rien.
Or cette structure est exactement celle du sacré primitif,telle que l'a dégagée René Girard : du sacré, il ne faut pas trop se rapprocher, parce qu'il déchaîne la violence ;
mais il ne faut pas trop non plus s'en éloigner, car il nous protège de la violence. Le sacré contient la violence, dans les deux sens du mot.