La plupart des gens dorment, ils dorment en lisant Marc Cévy, Margarine Pingeot, Ratavalec ou Houellebegbedecq ... ou en ne lisant rien du tout, ce qui revient au même.
C'est de toi que parle une peinture, tu y reconnais une image inédite de toi, un désir que tu portes depuis toujours, la clé d'une énigme, même -et surtout- si tu n'en as pas conscience. Tu crois t'emparer d'un tableau. Foutaises ! En réalité, c'est le tableau qui s'empare de toi. Le vrai coupable, c'est lui, les juges n'ont rien compris. On ne vole bien que ce qu'on aime. Forcément, on le négocie bien, on fait payer au client la douleur de s'en séparer. Le voleur s'enrichit d'arrachements successsifs. Il porte en lui une douleur inextinguible, il vole et il vend. C'est sa damnation particulière.
Voilà, je préfère l'amour des livres, même quand ils sont mauvais, il y a toujours quelque chose qui les sauve...
Pour moi, un professeur, c'est un passeur, il conduit ses élèves vers des rivages dont ils n'ont pas idée. Mais dans les collèges où l'on m'envoie, personne ne monte dans ma barque.
Gabriel m’avait mis en garde : « attention ! Quand on lit la première phrase, on est foutu. » Qu’importe ? Toute ma vie vient buter sur cette phrase. Tout ce que j’ai vu, vécu, aimé, haï, raté et parfois réussi.
Tout tient dans ces huit mots :
Longtemps, je me suis couché de bonne heure.
Que Gédéon coule des jours tranquilles à Antibes, que Raymond soit heureux en prison, que Denise vienne vite écrire sa partition sur ces pages, et que le monde tourne aussi mal que d’habitude !
Le temps s’est arrêté, je suis semblable à l’homme qui erre parmi les horloges sans aiguilles et les montres sans forme.
Alors, je me penche sur le manuscrit et j’attaque la deuxième phrase :
Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « je m’endors. »
Nous étions dans un collège Potemkine : travail bidon, notes bidon, appréciations bidon. Ces notes, il est vrai, servaient à justifier les redoublements ou les passages dans la classe supérieure, ce que l’on appelait « évictions par le haut ».
- Vous n'êtes donc pas un marrane?
- Non (...) en revanche je suis sur que vous, vous en êtes un. On le comprend à votre air inquiet, à votre façon d'être sur vos gardes, comme si, à chaque instant, une catastrophe pouvait vous tomber dessus.
Jamais je n’avais ressenti à ce point l’absurdité de leur dispenser un savoir qui n’appartenait en aucune façon à leur monde. Il aurait fallu tout reprendre à la base. Quelle base, d’ailleurs ? Etaient-ils jamais partis d’aucune base ? Ils avaient vu le jour sur le sable mouvant, dans un univers inintelligible et fuyant. Un univers qu’on ne leur avait jamais expliqué, et l’on prétendait leur apprendre les langues étrangères ! Et l’on demandait à des professeurs de s’en charger !
Le semblant est une valeur qui monte, regarde à Paris, il suffit de déverser quelques tonnes de sable sur les quais pour que des crétins se croient sur la Côte d’Azur.
Beaucoup de professeurs, dit-il, se sentent coupables de ne pas être des Superman pédagogiques. Ils ont tort, ce n'est pas ce qu'on leur demande. C'est même le contraire. Nous vivons à une époque où l'on déteste la culture et l'intelligence, c'est pour cette raison qu'on nous déteste. Les parents craignent que, par notre faute, leurs enfants deviennent intelligents et cultivés. Ils veulent seulement que nous leur apprenions un métier qui leur permettra de gagner leur vie et de la dépenser en télés, matchs de foot et bagnoles. Ils ont trop peur que leurs rejetons, devenus instruits, les prennent pour des cons. Ce qui est souvent le cas.