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4.17/5 (sur 6 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Troyes , 1947
Mort(e) à : Laval Canada , le 7/06/2001
Biographie :

Jean-Pierre Issenhuth est un poète, critique littéraire et essayiste. Il s’établit au Québec en 19691 et exerce successivement les fonctions de professeur et de conseiller pédagogique dans le quartier pauvre d’Hochelaga-Maisonneuve, dans l’Est de Montréal. Il fut membre du comité de rédaction de la revue Liberté de 1987 à 20002 et critique de poésie au journal Le Devoir de 1991 à 19961.

Ses textes en prose s’inscrivent dans la lignée d’essayistes comme Montaigne et Thoreau.

Source : Wikipédia
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Bibliographie de Jean-Pierre Issenhuth   (4)Voir plus

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Citations et extraits (81) Voir plus Ajouter une citation
Je ne suis pas un intellectuel. Si on les laisse contrôler la vie, les
« choses de l'esprit » sont une prison comme une autre, et je leur ai refusé
le droit d'enfermer la mienne. J'ai des loisirs intellectuels, tout au plus.
Culte des Idées, culte de l'Art, du « grand visage de l'art qui éteint les
visages des vivants » (Witold Gombrowicz, Journal) — j'ai fui ces prisons
en gardant toujours les pieds et souvent la tête parmi les gens du commun.
Je suis donc mal placé pour imaginer une solution à la culpabilité des
intellectuels, si elle existe. Je ne la vois pas de l'intérieur. La seule issue
qui me vienne à l'esprit serait l'abandon pur et simple de l'illusion de la
« vie absolue ». « Les plus grandes autorités du Talmud furent des ouvriers
et des artisans en tous genres, et, habitués aux travaux pratiques, il leur fut
facile de combler le vide né de l'aspiration de l'hispano-chrétien à une vie
« absolue », éloignée de tout ce qui n'était pas sa conscience et l'expansion
de sa personnalité, fuyant tout ce qu'exige l'humble pratique des choses. »
( Americo Castro, cité dans Primo Levi, le double lien)
"La religiosité juive a ceci de spécifique qu 'elle attribue une valeur
absolue à l'action humaine, qui ne saurait se comparer à la mesquine
connaissance des causes et des effets terrestres. Dans quelque action que
ce soit de quelque homme que ce soit est contenu, jaillit copieusement
l'infini. Il n'appartient pas à celui qui agit, de comprendre de
quelles puissances il est le messager, de quelles puissances il est le
promoteur, mais que cet homme sache que la plénitude du sort du
monde, dans son enchaînement sans nom, passe à travers ses mains."
(Martin Buber, cité dans Primo Levi, le double lien)
Les intellectuels devraient-ils donc se changer en hommes du Talmud ? Je
ne connais pas d'exemples d'une telle métamorphose.
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Pourquoi les intellectuels s'entêtent-ils à proposer aux gens du
commun une assistance que personne ne leur demande ? S'ils ne sont
pas mus par un désir de spectacle ou de pouvoir, espèrent-ils, par une
perpétuelle et généreuse offre sans demande, se dédouaner des privilèges
que le statut d'intellectuel leur octroie ? L'existence quotidienne des
gens du commun est sans commune mesure avec la vie des intellectuels.
Fonctionnaires de la pensée et de l'écriture, pour la plupart, ils disposent
d'une liberté de manœuvre et d'une aisance dont nul ouvrier, nul employé
ne peut rêver. Se peut-il que les intellectuels les meilleurs, conscients de
cette différence, l'éprouvent comme une injustice, et qu'il en résulte pour
eux une culpabilité que l'honnêteté les empêche d'occulter ? Si c'est le
cas, comment l'offre d'assistance, qu'ils espèrent de nature à les libérer
d'un malaise, pourrait-elle se réaliser ? Par la fourniture d'idées aux gens
du commun ? Mais les gens du commun ont leurs idées, issues de leur
forme de vie, qui n'est ni stérile ni vaine. Ils pensent eux aussi, ils pensent
pour vivre. Ils ont les idées adaptées à leur situation, à leurs soucis, à leurs
désirs, à leurs desseins. Tout leur savoir-faire non machinal est chargé
de pensée. Que feraient-ils des idées de gens qui vivent et sont payés
pour penser, analyser, critiquer, interpréter, commenter ? Les gens du
commun vivent d'aspirations à la sécurité de base, la sécurité matérielle,
et la sécurité matérielle ne préoccupe guère les intellectuels ; en général
ils disposent d'elle pour la vie. Il y a là un hiatus, qui se manifeste avec
évidence aux élections : le verdict populaire correspond rarement aux
souhaits des intellectuels.
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Léautaud voyait dans le peuple « de braves bonshommes qui,
somme toute, se fichent pas mal de la culture et autres balivernes, et
se plaisent bien mieux, sans qu'on puisse leur en faire grief, chez les
mastroquets ou au cinéma que dans les livres ». Stéphane Audeguy note
chez une intellectuelle : « Comme toutes les personnes dont c'est le métier
d'être intelligent, Nicole Strauss est d'une naïveté confondante quand il
s'agit de décrypter son environnement immédiat » (La théorie des nuages).
Dans le Journal d'un intellectuel en chômage, Denis de Rougemont montre
que l'intellectuel qui veut se rapprocher des « braves bonshommes » doit
d'abord surmonter l'incapacité de Nicole Strauss. Après une première
rencontre significative avec des gens du commun, il écrit : « Il me semble
qu'elle m'a fait voir "le peuple" pour la première fois de ma vie'. » C'était
dans les années 1930. Qu'est devenu « le peuple » aujourd'hui ? Selon
Sloterdijk, « dans le capitalisme avancé », c'est « la masse de ceux qui
restent exclus de la surgratification. Le peuple, c'est ce qui peut être certain,
même à l'avenir, de ne rien recevoir en échange de sa simple apparition. »
Sloterdijk observe par ailleurs : « Les surgratifications stabilisées
produisent chez ceux qui les reçoivent des prétentions statutaires
caractérisées par une tendance élitaire. Les personnes surgratifiées de
manière chronique développent souvent le talent de considérer leurs
primes comme un tribut adapté à leurs prestations — ou, en cas d'absence
de prestation, à leur seul être eminent. » (Colère et temps) S'il en est ainsi,
où trouver un pont entre intellectuels et gens du commun ?
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Hopkins a abusé de ses forces en plongeant dans la misère populaire
de Liverpool et de Glasgow
; il n'était pas préparé à ce choc. Stendhal
se disait du côté du peuple, mais incapable de vivre avec lui. Denis de
Rougemont ne semble pas avoir supporté très longtemps la compagnie
des gens du commun. Après deux ans de tentatives admirables, il donne
des signes d'amertume et abandonne : « Les hommes sont ennuyeux les
uns pour les autres, dès qu'ils ont cessé de s'étonner les uns les autres,
et qu'ils n'ont pas le même genre de métier. Ce n'est pas la "classe" qui
nous sépare ici, mais la profession, les préoccupations professionnelles,
et le défaut de buts communs surtout, je pense... Il vaut mieux partir,
quand on en est là » (Journal d'un intellectuel en chômage). W avait pourtant
les meilleures intentions, et avait agi à partir d'une perception juste des
données : « Quant au peuple il y a belle lurette qu'il sait ce qu'on doit
penser des gens instruits. La plupart sont des égoïstes, des orgueilleux,
des espèces d'aristos qui ne vont qu'avec les riches. » avait même fait
mouvement vers le Talmud : « Il me semble souvent que plus je travaille
de mes mains, plus il me vient d'idées fermes et utilisables. Est-ce que
les vraies idées viendraient du seul contact des choses, par les mains ? »
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Vus sous l'angle des geometries, les intellectuels sont des gens du
commun simplifiés, diminués, réduits. Sergio Pitol a vu de cette manière
des intellectuels mexicains : « Ils étaient affolés par l'évocation d'un
Mexique auquel ils ne souhaitaient pas être confrontés, un Mexique
radieux, barbare, innocent et grotesque, qu'il leur était impossible
d'accepter, et par un langage beaucoup plus vivant que la grisaille affectée
qu'ils utilisaient pour communiquer. » [L'art de la fugue) Gombrowicz avait
regardé des intellectuels argentins sous un angle voisin : «Ah ! j'eusse
préféré quelque gaffe créatrice, une erreur, voire du gâchis, mais rempli
de l'énergie que respirait le pays tout entier, à côté de quoi eux passaient
le nez fourré dans leurs bouquins. » (Journal) Guyotat n'est pas plus
tendre pour une certaine « classe intellectuelle » française, chez laquelle
il note « quelque chose du mépris de la plus sotte noblesse de jadis pour
le "vulgaire'' qui la faisait vivre et penser » (cité par Catherine Brun dans
Pierre Guyotat, essai biographique).
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Un jour, les voyant se promener, mon ami l'éleveur de poulets me dit :
— Ils sont en parfaite santé, vos canards !
Et moi, toujours avide d'apprendre du nouveau à leur sujet :
— À quoi le voyez-vous ?
— À leurs pattes orange vif !
En effet, leurs pattes se voient de loin, mais il ne m'était jamais venu à
l'idée que ce rayonnement puisse être un signe de santé. Un animal terne
serait donc autant à plaindre qu'un homme terne ? L'éclat des couleurs
des colverts s'ajoute à l'étonnante variété de teintes qui fait d'eux, pour
Hubert Reeves, des animaux aussi rares que communs : « Les canards à col
vert sont parmi les plus beaux oiseaux que je connaisse. Je ne me lasse pas
de les admirer, chaque fois que j'en ai la chance. Et pourtant, leur coloris bariolé m'intrigue. Bec jaune, tête verte, dos brun, pattes orange, un choix
de couleurs qui ne vont pas nécessairement bien ensemble. » [Poussières
d'étoiles) Toute la crânerie inventive de la nature transparaît dans cette
remarque.
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Dans La cité heureuse, deux personnages de Duteurtre dialoguent
ainsi :
- Je sais que c'est, idiot, l'extase devant la nature. Chercher Dieu
dans les paysages, contempler les mystères de la Terre ; on ne peut
plus penser comme ça — ni surtout le dire sans enfiler des lieux
communs. Pourtant, Je ne vois rien d'autre.
David esquissa un geste d'approbation avant d'apporter une
nuance :
- Il s'agit peut-être d'une forme de névrose moderne : l'exaltation
du citadin devant l'élément naturel. Encore que la plupart de mes
amis n 'éprouvent aucun besoin de s'asseoir sur des galets humides
dans un brouillard profond. Ils trouvent la nature exécrable et s'en
passent fort bien.
Chercher, contempler, penser, dire, voir, éprouver, trouver: un grand
dynamisme est exprimé là. Il n'v manque que faire, l'élément le plus
important. Mais j'aime aussi voir, présenté comme la perception de ce qui
reste quand tout s'est volatilisé : «je ne vois rien d'autre ».
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Debord cite cet extrait d'un poète de l'époque T'ang : « Je descendis
de cheval ; je lui offris le vin de l'adieu, et je lui demandai quel était le
but de son voyage. — Il me répondit : je n'ai pas réussi dans les affaires
du monde ; — je m'en retourne aux monts Nan-Chan pour y chercher
le repos. » C'est là, des siècles plus tard, au pied de ces mêmes monts
Nan-Chan, que Teilhard de Chardin, le 1er
janvier 1932, à neuf heures,
à la demande des participants à la Croisière jaune, prononça les mots
suivants :
Mes chers amis, nous nous trouvons réunis ce matin, dans cette
petite église, au cœur de la Chine, pour commencer en face de Dieu
l'année nouvelle. Dieu, pour chacun de nous ici, n'a sans doute pas
la même précision, la même figure. Mais, parce que nous sommes
tous des hommes, nous ne pouvons échapper, aucun d'entre nous, au
sentiment et à l'idée réfléchie que, au-dessus et en avant de nous, une
énergie supérieure existe, à laquelle nous devons bien reconnaître
— puisqu'elle nous est supérieure — l'équivalent agrandi de
notre intelligence et de notre volonté. [...] Nous souvenant de Son
omnipuissance, nous La prierons d'animer favorablement pour
nous, nos amis et nos familles, le réseau compliqué et en apparence
si incontrôlable des événements qui nous attendent au cours des mois
qui viennent — que le succès couronne nos entreprises, que la vraie
joie soit dans nos cœurs ; et dans la mesure où la peine ne saurait
nous être évitée, que cette peine se transfigure dans la joie supérieure
de tenir notre petite place dans l'Univers, et d'avoir fait ce que nous
devions ! (cité par Jacques Arnould, Pierre Teilhard de Chardin)
Le voyageur T'ang s'en allait vers les monts Nan-Chan pour y cesser
d'agir. Teilhard y vient pour entreprendre. Il situe le mystère de Dieu dans
l'énergie, source de toute animation. La comparaison de ces dynamiques
me montre à quel point je suis occidental, vis en occidental, et en mourrai
peut-être, sans que cette perspective m'inspire le regret de n'avoir ni su
ni souhaité arrêter d'agir, c'est-à-dire cesser d'être animé. Le voyageur et
Teilhard se sont éloignés, mais l'esprit de Teilhard a gagné la Chine, et les
monts Nan-Chan n'annulent plus deux dynamiques contraires.
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De quoi les gens du commun parlent-ils et aiment-ils entendre
parler ? Du temps qu'il fait, de la famille, des naissances, des deuils, des
voisins, de la santé et des bobos, du travail et de ses aléas, quelquefois des
vacances, des amours, de la télé, du sport, des voitures, de la politique,
surtout locale. Tout cela exprimé avec des zigzags, des temps morts, des
redondances, des coq-à-1'âne fréquents, des marches arrière, du surplace,
du tournage en rond, beaucoup de hasard et des signes d'expressivité
nombreux (gestes, mimiques, exclamations, onomatopées, rigolade,
soupirs). Comme cette espèce de chaos remuant et familier est loin de la
. conversation linéaire, lisse, épurée et bien rangée des intellectuels ! Dans
un sens, c'est la géométrie fractale comparée à la géométrie euclidienne.
Rougemont l'a compris : la langue des intellectuels « manque de durée.
Evitant méthodiquement les reprises, les retours, elle s'accorde très mal
au rythme de la réflexion spontanée, qui est "peguyste" et non "classique" »
{Journal d'un intellectuel en chômage). Cette divergence des conversations
semble être le grain de sable qui use le plus rapidement les intellectuels
décidés à faire un pas sérieux vers le peuple. (J'entends par « un pas
sérieux » autre chose que les vaines parades de Sartre dans la rue ou la
manie condescendante des bourgeois qui parlent de « mon boucher »
ou de « ma crémière » avec une familiarité fausse, coquette et vide, qui
n'engage jamais à agir d'aucune manière avec le boucher ou la crémière,
et n'a pour but que de se faire servir mieux que les autres.) À l'inverse,
pourquoi les gens du commun zappent-ils immédiatement quand ils
voient un intellectuel à la télé ? N'est-ce pas l'effet d'une perplexité
insoluble devant le déploiement d'une géométrie qui n'est pas la leur ?
Quant à changer de géométrie, ils ne le peuvent, et si les intellectuels ne
réussissent pas le mouvement inverse, aucun partage d'expérience ne peut,
avoir lieu, aucune entreprise commune n'est possible.
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Chaque terme de la série de Fibonacci (mathématicien italien du
XII'' siècle, connu sous le nom de Léonard de Pise, et qui s'appelait
probablement Leonardo Guilielmi) est la somme des deux termes
précédents :
15
1 (1+0)
2 (1+1)
3 (2+1)
5 (3+2)
8 (5+3)
etc
Le rapport entre deux termes consécutifs de cette suite est à peu
près stable à 1,6. Ce qui équivaut approximativement à "vS+l. Ce rapport
est le nombre d'or, ou proportion dorée.
C'est aussi la solution positive de l'équation x
- x - 1 = 0. Ce fameux
nombre (ou (/)') semble vouloir rivaliser avec n pour le nombre de
décimales. En 1998, Daniel Plouffe en a calculé dix millions.
On trouverait (je n'ai rien vérifié) la proportion dorée dans le nombre
des pétales des marguerites, dans le dessin de certains coquillages, dans la
distribution des feuilles sur une branche, dans la spirale d'un brin d'ADN,
dans la configuration des galaxies. Ce phénomène témoignerait d'une
tendance de la matière, animée ou inanimée, à prendre une certaine forme
précise, de préférence à d'autres, et pendant des siècles on a assimilé cette
forme, dépendant du nombre d'or, à la manifestation de l'harmonie.
L'idée d'une tendance ou d'une préférence de la matière m'est revenue
brusquement en lisant ces propos de Bohr rapportés par Heisenberg
dans La partie et le tout : « Il existe donc dans la nature une tendance à
produire des formes déterminées — j'utilise ici le mot "forme" dans son
sens le plus général — et de faire réapparaître ces formes déterminées
encore et toujours, même lorsqu'elles ont été perturbées ou détruites. »
L'acharnement est dans la nature, et une persévérance sans bornes.
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