Si la bataille de Vertières est bien une conclusion, cependant, et l’aboutissement d’une longue composition aux notes tour à tour graves et stridentes, amorcée en 1789, on ne peut pour autant la confiner au statut de simple épilogue. Il s’agit d’un évènement à part entière qui demande à être reconstitué dans ses multiples dimensions
S’il n'y a pas eu en apparence de génocide orchestré par les hauts dirigeants français, on a certainement assisté à l'émergence d'un désir génocidaire chez ceux qui avaient le mandat de rétablir l'ordre sur le terrain, loin des cabinets feutrés des ministres napoléoniens.
Haïti ne fait qu'accomplir à Vertières le rêve avorté de la République française, celui de la réalisation des droits de l’homme, par-delà les conflits raciaux et l’esclavage.
Les grandes questions de l’heure – l'antiracisme, le déboulonnage des statues, etc. – ne peuvent y être abordées qu'au prisme d'un langage hyperbolique propre à la tragédie, alors que la vraie tragédie, celle de la mort d'un innocent du nom de George Floyd, est passée sous silence, quand elle n'est pas honteusement instrumentalisée au profit d'une guerre ou l'histoire devient l'arme favorite d'une colère blanche.
une guerre bidimensionnelle : au plus près du corps noir d’abord, contre la mémoire ensuite
Sans le soulèvement de la masse de la future nation haïtienne, et sans les résistances des esclaves des colonies françaises en général, en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, il n'y aurait pas eu d'abolition général de l'esclavage par la Convention française le 4 février 1794.
D'anciens esclaves aux héritages culturels divers – la plupart sont africains, d'autres sont nés à Saint-Domingue ou ailleurs dans le monde caribéen – se seraient approprié l’hymne national républicain au moment même où Napoléon le mettait sous surveillance en raison de sa symbolique subversive. L'ironie est grande. “Allons enfants de la patrie“, “Aux armes citoyens“, “qu’un sang impur abreuve nos sillons“ : on peut en effet imaginer la stupeur des soldats napoléoniens soudainement conscient que le “sang impur“ de la chanson révolutionnaire est le leur et que leur combat est tout sauf légitime.
L'enjeu se résume à la nécessité de pouvoir contrôler, de nouveau, in fine, le corps des Noirs. Le fouetter, le mutiler, le désirer, le violer, le faire travailler. Pour cela, il faut lui faire peur, le désarmer et l'humilier, et lui faire oublier son droit à la liberté, à la citoyenneté et à la vie. Et devant l'impossibilité de contrôler le corps des Noirs et d'effacer les mémoires, l'extermination apparaît comme la seule solution.
La mort de Floyd exige de "mieux vivre". De débusquer les mensonges. De faire de l'histoire. Pour vrai. (32)
Universalisme et construction de l'altérité, par le biais du langage de la race, coexistent sans difficulté dans l'histoire de France, même sans guerre de sécession ou ségrégation institutionnalisée, comme c'est le cas aux États-Unis.