Jean-Pierre le Goff vous présente son ouvrage "
La société malade" aux éditions Stock. Entretien avec Jean Petaux, Sciences Po Bordeaux.
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Malgré les apparences, cet individualisme émotionnel et sentimental n’est pas si tolérant : il ne l’est que pour autant que l’autre lui ressemble ou le laisse vivre comme il l’entend. Persuadé que son comportement et son mode de relation aux autres incarnent le bien-vivre en société, il ne comprend pas et s’étonne que d’autres puissent penser et vivre autrement. Aussi a-t-il tendance à rejeter comme naturellement réactionnaire, arriéré et « ringard » tout ce qui vient contredire ses valeurs et son mode de vie particuliers. S’il se montre ouvert et tolérant envers les autres peuples et les autres cultures du monde, dont il se fait volontiers le promoteur et le défenseur attitré, il n’hésite pas, en revanche, à donner des leçons de morale et à dénoncer ses compatriotes qui n’en font pas autant.
p. 37
Le nouvel individualiste est en fait un « faux gentil » qui ne supporte ni la contradiction ni le conflit, non plus que le tragique inhérent à la condition humaine et à l’histoire. Il s’est construit un monde à part où il vit, se protège de l’épreuve du réel et se conforte avec ses alter ego.
p. 38

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PARENTS GAUCHISTES vs ENFANTS WOKISTES
(...) Ces années folles ont constitué le creuset premier et bouillonnant d’un gauchisme qui a connu un curieux destin. Alors qu’il avait les traits d’une contre-culture portée par la révolte d’un peuple adolescent, il a fini par former un nouvel air du temps. De minoritaire, voire marginale dans ses formes les plus extrêmes, cette contre-culture s’est répandue dans la société, a pénétré les partis de gauche et les institutions, devenant culturellement dominante dans le secteur de l’éducation, de la culture, du journalisme devenu militant, et même du showbiz s’érigeant en nouveau donneur de leçons.
L’anticonformisme d’antan est devenu un nouveau conformisme drapé sous les habits de l’ancien, la transgression et les risques en moins. Que peut encore signifier la révolte contre les tabous, l’autoritarisme, le moralisme d’une autre époque dans une société nouvelle devenue permissive ?
Ayant été éduqués dans l’ancien monde où l’histoire, la littérature, la philosophie occupaient encore une place importante dans l’enseignement, nous étions, à notre façon, des « héritiers rebelles », en rupture, mais des « héritiers quand même », malgré nous, tout au moins pour la frange la plus cultivée de notre génération. Nous disposions d’acquis intellectuels qui ne s’effacent pas si facilement.
Les élites au pouvoir de l’époque se sont trouvées confrontées à une révolte de jeunes lettrés nourris par la même culture et nous étions encore considérés comme les futures élites de la nation. Contrairement à la légende noire d’une répression sauvage entretenue par les soixante-huitards et leurs descendants, elles ont fait preuve d’une relative tolérance et mansuétude à notre égard.
Quand ils sont devenus adultes et ont commencé à vieillir, les gauchistes soixante-huitards se sont trouvés dans une situation paradoxale : comment assumer clairement une position d’autorité, tout particulièrement dans l’éducation des enfants, quand les repères traditionnels de l’autorité ont été mis à mal ? Quel héritage culturel transmettre aux nouvelles générations quand celui-ci a été rejeté ?
En guise d’héritage, nombre de soixantehuitards ont laissé derrière eux les ruines de l’ancien monde et leurs désillusions révolutionnaires sans comprendre ce qui s’était passé et sans souci de reconstruction. Leurs héritiers en mal de filiation reprirent à leur compte une posture faite de provocation et de dérision dans une société marquée par l’« ère du vide » des années 1980. (...)
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Il est de plus en plus difficile d'être de gauche, surtout quand on n'est pas de droite.
Mes grands-parents ont vécu dans une seule pièce située au premier étage d’une maison. Le confort y était sommaire : un robinet d’eau froide pour la cuisine et la toilette (ce qui constituait déjà un progrès par rapport à la pompe du jardin), une cuisinière à bois et à charbon qui chauffait la pièce, un lit dans un coin, une table, une armoire, sans oublier le chat, qui « était bon pour les souris », et les puces qui sautaient sur le plancher.
La démocratie suppose une "éthique de responsabilité" qui prend en compte les effets indésirables de ses paroles et de ses actes dans une situation donnée. S'y ajoute une exigence d'intégrité qui a valeur d'exemple auprès des citoyens. Depuis des années ces principes éthiques et politiques qu'incarnent nombre d'hommes et de femmes politiques ont été bafoués par une série d'affaires et de scandales à répétition
p.258
Pour les enfants, les rues du village étaient le lieu où l’on découvrait un monde fascinant avec ses ombres et ses lumières, ses cris, ses bruits et ses odeurs.

Cette nouvelle condition de l'"enfant du désir" influe directement sur la formation de sa personnalité. "Dans sa rareté, par le choix qui est fait de lui, il représente ses auteurs, il incarne l'alliance de ses auteurs" et, de ce fait, il est un être surinvesti d'attentes, un être sacralisé, une "sorte de petit dieu vivant" qui fait l'objet d'une "glorification de l'être unique qu'il recèle, témoignant du désir unique et spécifique dont il est le fruit."
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Poussant plus loin son analyse, Paul Yonnet décrit la "constitution psychique" de cet "enfant du désir", conçu, élevé et éduqué dans ces nouvelles conditions. Celle-ci est marquée par une fragilité interne et une sourde angoisse sur son identité d'être désiré, choisi et unique. Cherchant continuellement à se faire remarquer, il "guette en permanence dans l'échange symbolique de la relation quotidienne un élément possible de réponse à cette question : 'Ai-je vraiment été désiré ?'". Les parents, et plus particulièrement la mère, se doivent de répondre à ce questionnement permanent et, ce faisant, ils se placent eux-mêmes dans une situation où leur autorité devient difficile à assumer : "Comment, en effet, faire comprendre son affection, son amour, en s'opposant à ses enfants (...) ? S'opposer aux désirs des enfants, n'est-ce pas risquer de faire apparaître que ses enfants ne sont pas des enfants du désir ?" ; la relation de l'enfant à l'autorité s'en trouve tout autant affectée : "Si tu m'as tant désiré, pourquoi t'opposes-tu à mon désir ?" s'interroge l'enfant, tandis qu'à l'inverse les parents, et plus particulièrement la mère, peuvent se poser la question : "Mais pourquoi est-ce que je m'oppose à son désir, puisque je l'ai désiré ?" L'avènement du désir d'enfant est ainsi porteur d'une crise structurelle de l'interdit et de l'autorité : "Il y a une sorte de légitimité introuvable à vouloir s'opposer aux désirs des enfants, puisqu'on les a désirés."
(citations de Paul Yonnet, "Le recul de la mort. l'avènement de l'individu contemporain").
p. 75 sq.
Les jeunes ont non seulement le droit, mais le devoir de s’amuser. À vrai dire, le mot devoir n’est pas forcément le plus approprié : « On estime, en effet, écrit-il, qu’un adulte qui n’a pas profité de sa jeunesse a quelque chose d’anormal. Il inspire de la pitié et même une certaine méfiance. » Ceux qui n’ont pas pris le temps de s’amuser quand ils étaient jeunes en portent les marques tout au long de leur vie : Ils ont gardé en eux des passions inassouvies qui risquent d’exploser un jour. Ils ne sont pas normaux, prévisibles et sains.
... un autre trait du nouvel individualisme : la primauté accordée à l'émotion et aux sentiments, considérés comme la marque d'une "authenticité" première et singulière qui s'érige en critère de vérité face à un monde des idées trompeur et impersonnel. Dans le débat public, l'expression émotionnelle a valeur d'autorité contre le travail intellectuel et les convictions sensées. Soupçonnés d'être une pure rationalisation et le masque d'une infrastructure sentimentale qui les détermine, ils sont déconsidérés au profit d'un "ressenti individuel" qui balaie tous les arguments.
p. 35
Selon un "micro-trottoir" réalisé par la presse locale, les ménagères semblaient être unanimes pour saluer l'utilité de cette dernière nouveauté [le lave-vaisselle], sauf l'une d'entre elles qui regrettait le lavage à la main : celui-ci procurait un moment d'échange avec le mari devant l'évier de la cuisine quand celui-ci essuyait gentiment la vaisselle.