Jean-Pierre Leclerc

En avril renaissent feuilles et fleurs, les rancœurs aussi.

Les hommes n'arrêtent les guerres que pour préparer les suivantes.

Bérangère alla s'assoir à la proue, face au ventre vide de la barque. "Demain tu seras pleine tant et plus qu'on y pourra point ajouter une tête d'épingle", se dit-elle

Nous sommes des milliers comme ça, à tenter de vivre avec la déception nichée au fond du coeur.

Plus tard, un pli annonça le retour du corps de Joseph. Il alla reposer au cimetière de Compains. Une deuxième lettre évasive, tenait Jean-Marie pour disparu au-delà des lignes ennemies. Il resterait prisonnier d'une terre dont l'existence lui était inconnue la semaine précédent son départ. Sa jeune vie désormais gisait en une lointaine plaine d'où les morts longtemps encore feraient signe aux vivants. Jean-Marie et Joseph posthumement décorés, Toutin fourra les médailles au fond d'un tiroir sous quelque passementerie oubliée. Geste de colère et d'indignation.
De ce jour, à Basson-Seul, le vin n'ayant plus goût d'"exception" coula à chaque repas. Toutin s'en emplit l'âme et le corps. Il déambula sur ses terres tonnant et crachant à la face du ciel et des gouvernements, il injuriait Dieu en personne.
- Qu'est-ce que tu en as à foutre, toi ? Des fils, tu en fais autant que tes curés peuvent en bénir ! Mais moi j'en avais deux... Seulement deux...

Nous, on aura beau imaginer ce que tu as vu, vécu et enduré pendant ces quatre années, nous serons toujours loin de la vérité.

Il faut une force particulière pour aimer, et je ne l'ai pas. C'est peut être parce que je n'ai jamais eu envie d'aimer.
- Attends de rencontrer l'Amour, la force viendra avec l'envie.

Perdre un enfant fait de vous un être incomplet, handicapé à jamais.

Les maisons sont comme les hommes, elles supportent mal la solitude, alors elles se laissent mourir.

Longtemps, il fixa la danse lascive des flammes, comme si le feu était en mesure de lui révéler le secret de sa vie d'avant guerre. Mais aucune image, aucun souvenir ne prit forme. Et s'il ferma les yeux, ce fut afin de se persuader que tôt ou tard il parviendrait à retrouver le chemin de son passé. Retourner sur mes pas, et... pensa-t-il sans pouvoir aller au bout de sa pensée. À présent, des larmes roulaient sur ses joues sans qu'il s'en souciât. Et remonter le temps. Oui, remonter le temps. C'est ça, savoir... qui je suis. Savoir qui je suis.

Prenez la peine de réfléchir et vous n'aurez aucune difficulté à choisir votre vie.

Souvent, si on savait ce que la vie nous réserve, on calculerait moins.

La peur m'a rendu malade plus d'une fois, ce que j'ai vu était plus laid à voir qu'une mauvaise vie, et toujours je me suis juré que, si je m'en sortais, je courrais me jeter dans les bras du bonheur.

Les deux femmes demeurèrent un instant silencieuses, promenant leurs regards sur ces jeunes hommes aux visages disparus, résignés, qui bientôt ne seraient plus que des noms gravés au front d'un monument.

Trop de choses l’assaillent, insupportables, vives, torturantes. Amalgame de péripéties qu’il se devait d’oublier, s’il voulait espérer revivre au grand jour et aimer encore !

La mémoire est bien plus coriace qu’on ne croit.

Et Puis je ne sais pas parler, enfin, pas comme il faudrait. Sans compter que j'ai, à ce qu'on dit, la tête vide comme une huche. En somme, je ne suis qu'un bestiau au cuir épais, pas même capable de reproduire.

Mais aujourd'hui, tout semblait reprendre sa place, et les vallées, les sommets respiraient de concert avec la saison. Il y avait un réel plaisir à rester le soir dans les cours, à couvert des tilleuls ou des marronniers, les membres rompus, à se délasser et prendre le frais.

L’aînée des Ameil prit sa mère par le bras. Elles remontèrent l’allée ravinée, pas à pas, graves, les yeux humides. Aussitôt des groupes clairsemés se formèrent derrière elles. Jocelyn, le plus âgé des fils, conduisait l’un d’eux, accompagné d’Antoine, son cadet. Suivaient des membres de la famille, des amis. La file s’étirait de la tombe au portail, où on se regroupait avant de regagner les voitures. Abel Pilorni, l’ancien instituteur, fermait la marche. Il avait tenu à suivre les obsèques de celui qui avait été son élève de la primaire au certificat d’études, contre l’avis de ses enfants. Pilorni ne sortait plus guère depuis une mauvaise chute survenue un an plus tôt dans l’escalier de sa cave. Mais, malgré le froid persistant de cette fin octobre, et bien qu’affligé par la disparition de Martial Ameil, le vieil homme, soutenu par son fils, avait pris sa place dans le cortège afin d’honorer la mémoire du défunt.