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Citations de Jean-Pierre Minaudier (33)


On voit par là que toute traduction parfaite est impossible, parce que traduire impose des changements structurels et qu'à changer de langue on change de vision du monde : c'est pourquoi la diversité des langues est une des richesses fondamentales de l'humanité, et leur étude, l'un des plus grands plaisirs intellectuels et poétiques qui puisse se concevoir.
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Bien sûr, l'essentiel est ailleurs : il réside dans l'intérêt des structures linguistiques elles-mêmes. Car toute langue recèle une vision du monde. S'il est possible, comme le soutiennent Noam Chomsky et son école, qu'il existe une grammaire universelle, c'est à dire ds règles communes à toutes les langues, il n'en reste pas moins que, de l'une à l'autre, elle s'inscrit dans des formes très variées qui découpent le réel très différemment, provoquant dans l'esprit des locuteurs des associations distinctes dont la combinaison finit, au total, par dessiner plusieurs images du monde.
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Mais bien sûr, pour y avoir accès, encore faut-il accepter de s’intéresser à la grammaire... Je voudrais tenter, lourde tâche, de la débarrasser de son image bien établie de pensum et d'instrument de torture scolaire ; je voudrais la dépouiller de sécheresse et d'ennui qu'elle traîne dans les générations traumatisées, à juste titre, par des indigestions de déclinaisons grecques et latines sans lien avec nulle expérience réelle de communication (ni même beaucoup de contact avec une culture différente, lorsque l’enseignant ne sait pas s'y prendre ou n'y croit plus), ou encore par la dictature de la grammaire normative du français, l'une des plus académiques, raides et intolérantes d'occident. À vrai dire, ces générations sont en voie de disparition car, du fait de cette image désastreuse, on ne fait plus guère de grammaire, même française, dans le système scolaire français ; mais la répulsion demeure, d'autant que Bescherelle sévit toujours, indispensable comme les dentistes mais presque aussi ennuyeux qu'une réunion de copropriété (j'ai l'intime et ferme conviction que l'enfer est une très longue réunion de copropriété).
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De même, dans certaines langues la qualité d'un texte littéraire, la richesse et la beauté d'un style reposent en bonne partie sur l'emploi d'un vocabulaire étendu, et dans d'autres, sur l'emploi d'une large gamme de moyens grammaticaux : autant dire qu'un texte traduit d'une langue du premier type dans une langue du second, ou le contraire, risque d'avoir l'air plat, puisque la langue d'arrivée ne dispose pas des mêmes ressources que la langue de départ, ce qui ne veut pas dire qu'elle en a moins. Pour que le résultat de son travail soit lisible, le traducteur doit donc s'atteler à restyler le texte dans la langue d'arrivée, selon le génie de celle-ci : toute traduction est un acte de *création littéraire, et pour réussir il est vital d'avoir un sens aigu de la langue dans laquelle on traduit.

[* en italique dans le texte]
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J'ai l'intime et ferme conviction que l'enfer est une très longue réunion de copropriété.
Page18
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24.
J'imagine qu'un certain nombre d'éloges funèbres de linguistes portent témoignage de résistances actives, mais je ne fréquente pas ce genre littéraire. le délicieux proverbe bantou pieusement recueilli par Vialatte lors de ses travaux de terrain («Il n'y a pas de bas morceau dans le gros ethnographe») doit bien avoir son pendant linguistique - en toute "political correctness", je propose : «la couenne du phonéticien n'est pas plus diétique que le lard du missionnaire.»
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Comment le hongrois, originaire de Sibérie occidentale où il a encore deux petites sœurs en déclin, le khanti et le mansi, s'est-il retrouvé en Europe centrale : quel chef de horde lassé de brouter du lichen pour passer l'hiver a vu de la lumière, décidé d'entrer et pris le train de l'invasion turco-mongole du moment ?
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Mais on peut faire de ces travaux de valeur scientifique discutable [ceux cherchant à démontrer une langue originelle commune] une lecture poétique, les accueillir comme des tentatives pour doter notre modernité désenchantée de nouveaux mythes d'origine : sous les entreprises les plus sèchement scientifiques en apparence, il y a souvent de ces fantasmes, de ces rêveries de jeunes ou de vieux enfants sur des cartes ou des arbres généalogiques. Telle est sans doute leur fonction essentielle.
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Un verbe basque comme hil (tuer/mourir) peut prendre en théorie 2854 formes différentes, même si pas mal d'entre elles sont si monstrueuses (et honteuses de l'être) qu'elles ne s'aventurent jamais hors des grammaires, leur seul milieu naturel : ainsi hil ziezazkiguketenan, « ils/elles pouvaient nous les avoir tué(e)s » (forme verbale réservée à une conversation avec une femme que l'on tutoie). Mais le géorgien et certaines langues d'Amazonie et d'Amérique du Nord font peut-être encore mieux, ou pire.
(Page 77)
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Mais il y a bien plus: ma conviction profonde est qu’une grammaire c’est avant tout du rêve et de la poésie - je répète pour le dernier rang qui bavarde: une grammaire, c’est avant tout du rêve et de la poésie. Et ce à tous les niveaux: dans les introductions ethnographiques, dans les anecdotes qui parfois émaillent le texte; dans le contenu des exemples; mais surtout dans la structure même de la langue étudiée, car chaque idiome a sa propre manière de passer du réel au discours, donc porte un regard différent sur le monde. Toute grammaire a sa logique propre, souvent inattendue, et aussi ses incohérences; ses métaphores, ses rapprochements parfois surprenants de formes et de sons, ses courts-circuits, ses pesanteurs, ses fulgurances, bref, sa poétique, même lorsque nul Goethe, nul Supervielle, nul Gongora ne l’a retravaillée. Cette poétique spontanée, fruit de millénaires d’élaboration collective et pour l’essentiel inconsciente m'émerveille autant que l'autre, et elle est infiniment plus méconnue.
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La lecture d'une grammaire peut constituer un véritable roman policier. Qui diantre est le coupable, l'accusatif ou le génitif ? Parfois le suspense monte, insoutenable, sur plusieurs chapitres : l'accord du verbe avec le complément d'objet direct se fera-t-il jusque dans les subordonnées ? À l'issue d'une haletante démonstration dont la conclusion est que « toutes les voyelles brèves du khalkha sont en réalité des schwas épenthétiques » (les garces !), le lecteur convenablement excité éprouvera une volupté proche de celle du tchékiste démasquant un nid de saboteurs hitléro-trotskystes dans une usine biélorusse en 1937.
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Les plus belles langues sont celles qui servent à ne pas communiquer !
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Ainsi « tank » se dit chidinaa'na'ibee'eldṍṍhtsohbikàà'dahnaaznilίgίi, littéralement « voiture qui glisse sur le sol avec de gros fusils dessus ». Il est probable que dans la pratique, les Navajos recourent à l’anglais pour le genre de conversation où l’on a à mentionner un tank – C’est une bête question de sélection naturelle : le temps de s’écrier « Gare, le tank arrive ! », l’obstiné » navajophone est déjà réduit à l’état de crêpe Suzette, dans l’indifférence de ses compagnons d’armes plongés dans leur dictionnaire.
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L’étude des grammaires nous apprend encore que les concepts de droite et gauche, qui sont relatifs (on est toujours à droite ou à gauche de quelque chose et n’ont rien d’universel: certaines langues possèdent des systèmes d’orientation absolus , comme le taba, langue austronésienne parlée au large d’Almahera, en Indonésie, où l’on distingue « le côté mer » et le « côté de la terre » (les locuteurs du taba habitent les côtes d’une île , laquelle est ronde -il ne s’agit donc pas de points cardinaux). On ne dit pas « Les cigarettes sont à gauche (ou à droite) de la chaise » mais Tabako adia kurusi ni lewe lema, « les cigarettes sont du côté de la terre par rapport à chaise; ou Tabako adiia kurusi ni laema pope, « les cigarettes sont du côté de la mer par rapport à la chaise : chacune de ces deux phrases veut dire « à droite » ou » à gauche » selon la position du locuteur
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11. Par ailleurs, ce livre se veut une défense et illustration de la note de bas de page, un genre littéraire trop décrié. (p. 20)
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En navajo qui n’a jamais chipé un seul verbe à aucune langue étrangère, le refus de principe de l’emprunt aboutit à des résultats certes décoratifs, mais discutables du point de vue de l’efficacité communicationnelle : ainsi « tank » se dit chidinaa’na’ibee’eldoohtsohbikàà’dahnaazniligii, littéralement « voiture qui glisse sur le sol avec de gros fusils dessus. Il est probable que dans la pratique, les Navajos recourent à l’anglais pour le genre de conversations où l’on a à mentionner un tank – c’est une bête question de sélection naturelle: le temps de s’écrier « gare le tank arrive » , l’obstiné navajophone est déjà réduit à l’état de crêpe Suzette, dans l’indifférence de ses compagnons d’armes plongés dans leur dictionnaire.
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Mais il y a bien plus: ma conviction profonde est qu'une grammaire, c'est avant tout du rêve et de la poésie - je répète pour le dernier rang qui bavarde: une grammaire, c'est avant tout du rêve et de la poésie.
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Toute traduction parfaite est impossible parce que traduire impose dans changements structurels et qu’à changer de langue on change de vision du monde: c’est pourquoi la diversité des langues est l’une des richesses fondamentales de l’humanité, et leur étude, l’un des plus grands plaisirs intellectuels et poétique qui puisse se concevoir.
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Pour moi l'intérêt de l'existence de six mille systèmes linguistiques différents dans cet improbable recoin de galaxie où il nous est donné de faire trois petits tours réside essentiellement dans cette diversité de visions du monde.
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« La diversité des langues, dont la lecture de chaque grammaire révèle une facette inédite, remet en cause non seulement la grammaire universelle des chomskyens, mais tous les universalismes, qui ne sont généralement que des occidentalocentrismes, des provincialismes aveuglés par l'arrogance et l'ignorance de l'autre. L'inépuisable variété des manières de mettre le réel en mots renvoie à leur profonde inexistence intellectuelle tous les cornichons persuadés que la seule manière digne d'intérêt de penser et d'exprimer le monde est celle en vigueur dans leur village natal, et ignorant ou méprisant tout ce qu'ils ne distinguent pas du haut de leur clocher : philosophes qui confondent les préjugés de leur siècle et de leur société avec des universels intemporels, littéraires figés dans un dialogue millénaire avec une tradition "classique" prise pour le centre du monde parce qu'elle se trouve être à l'origine de notre patois, nationalistes assez obtus pour oublier que la richesse des nations réside dans leur pluralité » (p. 65)
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