Une rumeur circulait selon laquelle des soldats français et allemands fraternisaient d’une tranchée à l’autre, qu’ils se parlaient et même se rencontraient. Mais la répression des chefs a été sans pitié. Il y a eu des fusillés pour l’exemple dans les deux camps.
Comme dans les pages d’un livre que l’on fait défiler sous le pouce, sa mémoire faisait ressurgir des choses. Parfois, elle avait l’impression qu’elle n’avait pas eu la réponse à ce qu’elle avait vécu, et surtout rêvé. Ses rêves étaient sa principale inquiétude ; elle se refusait à ce qu’ils soient prémonitoires parfois, ou émergences d’un déclic qui la faisaient remonter loin dans le passé d’une personne en particulier.
Toute la misère du monde était là, et pour elle la première confrontation avec cette notion d’impartialité vis-à-vis d’un élève. Elle eut envie de s’asseoir près de lui, de passer son bras sur son épaule, de laisser sa tête aller vers l’enfant. Le silence régnait dans la classe ; on eût dit celui d’un prétoire de justice où s’annonce la décision du président. Était-elle juge, avocate ? Qu’attendaient les assistants, les victimes ? Qu’attendait Jacou ?
Elle s’arrêta regardant alternativement la classe et Jacou.
— Les enfants, ce qui s’est passé aujourd’hui ne doit plus se reproduire. Jacou a été accusé de quelque chose que nous ne pouvons vivre à sa place. Les sentiments de chacun d’entre vous doivent être respectés et ne doivent jamais être déclarés comme vous l’avez fait.
Le monde ! Chacune en connaissait une partie, mais leur discours était comme deux livres sur les rayons d’une bibliothèque. Chaque livre était passé d’une main dans l’autre, apportant à l’une et à l’autre des images, des émotions.
Chacun, et même les enfants, a le droit d’aimer avec les sentiments de son âge. Tous les hommes et les femmes ont connu ces moments, et le point commun qu’ils ont, c’est l’amour.
La guerre a secoué toutes les consciences, animé des solidarités, abattu aussi des préjugés sur les femmes.