Elle me toise, les mains sur ses hanches généreuses . Son allure est un peu effrayante : chaussettes en tire-bouchon sur les chevilles, poils du menton hérissés . Quand à ses cheveux, en plus d’être ébouriffés par sa course à travers les couloirs, ils sont d'un noir étrange. Toute femme ayant un peu de compassion ne recommanderait surement pas cette teinture à sa pire ennemie.
Désormais notre voleur a une consistance, un corps, une existence réelle . Bientôt , enfin si tout se passe bien, il aura un visage, des expressions, bref, une identité.
J’ouvre le journal curieusement intitulé « Mes mémoires, d’Helmut Hund… er ». Pourquoi ces points de suspension dans son patronyme ? Après une lecture approfondie des dix premières pages, je commence à imaginer les divers protagonistes énoncés et mets bout à bout les faits relatés succinctement. De temps en temps, j’éprouve le besoin de m’évader de ces horreurs. Mon esprit se perd alors sur mon Alsace qui a tant souffert durant cette guerre et dont le calme de la nuit tranche avec le fracas décrit.
Il fantasme sur cette première nuit où son pouvoir de mâle dominant s’exercera librement. Encore faut-il qu’elle accepte de se plier à une certaine contrainte… Il ne précise pas laquelle.
Se préoccupe-t-il de l’enfant à naître ? Aucune phrase, aucun mot à ce sujet. Nous avons l’impression que la finalité de cet accouplement est certes sa conception, non point en tant que fruit de l’amour mais en qualité d’unité additionnelle. Un de plus. Point barre.
Digérer cette masse d’informations et s’habituer à ces terrifiants personnages qui manipulent les êtres humains comme d’autres les détritus est difficile. L’analogie me saute aux yeux, j’en fais part à Eustache qui acquiesce. Reviennent ces lancinantes questions ! Comment peut-on devenir aussi insensible ? Pourquoi des hommes deviennent-ils aussi facilement des « Helmut » ? Comment une synergie politique peut-elle déclencher de tels comportements ?
Devant son armoire, elle hésite encore sur sa tenue qui la mettra en valeur. Elle opte pour une jupe fleurie aux couleurs vertes prédominantes comme la forêt aux alentours, assortie à un corsage blanc aux légères fleurettes vertes et orangées. Elle tresse avec application ses longs cheveux, y ajoutant un joli ruban pourpre à chaque extrémité. Ses bas d’un blanc lumineux dans ses chaussures noires et brillantes rehaussent le tout.
Nos écrits me turlupinent, je lui demande souvent son avis. La psychologie d’Helmut me semble bien plus complexe que nous ne le pensions au départ, j’affine selon ses écrits. Je suis mal à l’aise. Et toujours ces suites de résumés, d’impressions ou de très brefs commentaires, parfois ambigus, voire carrément obscurs qui quelquefois peuvent s’interpréter de diverses façons… pour un profane en psychologie.
En attendant, j’ai bien du mal à comprendre les desseins de notre Führer. Une race parfaite. Et les autres, on en fait quoi ? s’interroge Otto, visiblement éberlué, avant d’ajouter : Nous autres, les bruns aux yeux noisette, on fera quoi lorsque nous voudrons des enfants ? On nous dira : Nein ! Nein ! Pas blond, pas d'yeux bleus, pas de fornication, pas d’enfants !
Il prend des risques. Il change ses horaires, surtout éviter les habitudes ! Il connaît le parcours par cœur. Il fait très attention. Il poursuit son but. Récemment, il a eu chaud ! La femme de ménage a pénétré dans la salle. Quelques secondes de plus, il était cuit. Ouf ! Merci mon Dieu ! Vite son vélo. Descente à vitesse d’enfer, il tremble d’une peur rétrospective.
Sœur Lucile vit à l’évidence ses derniers instants. Son souffle n’est qu’une succession de râles. Je souffre à l’entendre respirer ainsi. Allongée dans son lit, elle paraît menue, tant celui-ci est trop grand pour elle. Un petit chapelet en bois dans ses mains, bien usé par le temps et les prières, ses cheveux gris filasse roulés en macaron sur les oreilles.