Jean de ROTROU Qui est-il ? (France III Nationale, 1960)
L'émission "Anthologie française", par Jean de Beer, diffusée le 2 mars 1960 sur France III Nationale. Lecture : Jean Topart, René Clermont, Henri Poirier, Pascal Mazzotti, Jacques Toja, Denise Noë et Régine Blaess.
Les martyrs, animés d'une sainte fureur,
En rougiront de honte et frémiront d'horreur ;
Contre toi dans le ciel, Christ arme sa justice ;
Les ministres d'enfer préparent ton supplice
Ce monde périssable et sa gloire frivole
Est une comédie où j'ignorais mon rôle
Rendu par cet aveu le premier des humains,
Que j'égare mes voeux sur les lis de ces mains
Qui m'ont si doucement la franchise ravie,
Qui sous de si beaux fers ont mon âme asservie.
Je méprise vos biens et leur fausse douceur,
Dont on est possédé plutôt que possesseur.
T'offrant à ma fureur, lâche objet de mes larmes,
Tu sais combien légers sont les coups de mes armes ;
Comme ils sont sans effet, tu les attends sans peur ;
Alphrède, et tu le sais, ne peut frapper au coeur.
Ô raison égarée ! Ô raison suspendue,
Jamais trouble pareil t'avait il confondue ?
Sottes présomptions, grandeurs qui nous flattez
Est-il rien de menteur comme vos vanités ?
Et bien, contre un objet, qui vous fait tant d'horreur,
Inhumaine, exercez toute votre fureur,
Armez-vous contre moi, de glaçons et de flammes,
Inventez des secrets, de tourmenter les âmes ;
Suscitez terre, et ciel, contre ma passion,
Intéressez l'État, dans votre aversion ;
Du trône, où je prétends, détournez, son suffrage,
Et pour me perdre enfin, mettez tout en usage ;
Avec tous vos efforts, et tout votre courroux,
Vous ne m'ôterez pas l'amour, l'amour que j'ai pour vous ;
Dans vos plus grands mépris, je vous serai fidèle ;
Je vous adorerai, furieuse ou cruelle ;
Et pour vous conserver, ma flamme, et mon amour,
Malgré mon désespoir, conserverai le jour.
Noires divinités, filles impitoyables,
Des vengeances du Ciel, ministres effroyables,
Cruelles, redoublez, ou cessez votre effort,
Pour me laisser la vie, ou me donner la mort.
Ce corps, n'a plus d'endroit, exempt de vos blessures,
Vos couleuvres n'ont plus, où marquer leurs morsures ;
Et de tant de chemins, que vous m'avez ouverts,
Je n'en trouve pas un, qui me mène aux Enfers ;
Ce n'est qu'en m'épargnant, que la mort m'est cruelle,
Je ne puis arriver, où mon Père m'appelle,
Achevez de me perdre, et dedans son tombeau,
Enfermez avec lui, son fils, et son bourreau.
Cède, cruel tyran, d'une amitié si forte,
Respect, qui me retient, à l'ardeur qui m'emporte,
Sachons si mon hymen, ou mon cercueil est prêt.
Impatient d'attendre, entendons mon arrêt ?
Parlez, belle ennemie, il est temps de résoudre ;
Si vous devez lancer ou retenir la foudre ;
Il s'agit de me perdre, ou de me secourir,
Qu'en avez-vous conclu, faut-il vivre, ou mourir ?
Quel des deux voulez-vous ou mon cour, ou ma cendre ?
Quel des deux aurai-je, ou la mort, ou Cassandre.
L'hymen à vos beaux jours, joindra-t-il mon destin,
Ou si votre refus, sera mon assassin ?
Dieux ! vous avez un foudre, et cette félonie
Ne le peut allumer, et demeure impunie !
Vous conservez la vie et laissez la clarté
A qui vous veut ravir votre immortalité !