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Citations de Jean Rouaud (317)


C'est en subissant la loi de tels petits faits obtus que l'enfance bascule, morceau par morceau, dans la lente décomposition du vivant.
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J'avais quitté le pays natal, senti profondément que je n'avais plus rien à y faire. Je venais de passer la trentaine et regarder devant moi ne m'apportait pas beaucoup de réponses hormis celle de ma prétention à écrire et son improbable résultat. C'était peut-être l'occasion de se retourner. (p. 136)
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Je cherchais surtout à m'en sortir par le verbe. Et ce que je découvrais au kiosque, c'est que cet or poétique n'était que de la poudre aux yeux, un bouquet de fleurs de vent, et que l'élargissement, la sortie de ma prison intérieure qui était le châtiment de cette obstination à vivre penché sur la phrase, se paierait en livre de chair. (p. 254)
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Jean Rouaud
Si la société évacue la poésie comme mode d'expression non productif, c'est peut-être que la poésie est un foyer de contestation, un acte de résistance, une incompatibilité fondamentale avec le système dominant ?

Le Monde de l'éducation, Juillet Août 2001
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Les hurlements du vent couvraient le piétinement du cortège, on avançait tête baissée, le souffle coupé, se fiant pour le chemin à celui qui vous précédait, préoccupé avant tout de ne pas s'envoler. Grand-mère et maman avaient ôté leurs voilettes, grand-père tenait fermement son chapeau à la main, d'autres couraient après un béret ou un foulard. Le corbillard tanguait, tiré par le cheval de monsieur Biloche, ses draperies noires claquaient, s'agitaient comme une nuée de corbeaux autour du corps.
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Jean Rouaud
Le travail ne l'a jamais rebuté. Une cafetière pleine et toutes ses nuits à faire "concurrence à l'état civil". Les journées sont réservées aux amours, aux huissiers, à ses formidables manigances qui doivent lui ouvrir le chemin de la fortune et qui se fracassent à chaque fois contre le mur du réel. C'est la nuit que Balzac se rattrape, le petit boursicoteur du jour se transformant dans ses romans en un trader redoutable à qui tout réussit. Car Balzac est un incorrigible rêveur. Il a pris à bras le corps, sans rechigner, ce que son temps lui proposait, cette montée en puissance d'une bourgeoisie inventive qui vient enfin d'accéder aux commandes. Il s'est plié à ce destin littéraire qui l'a placé en première ligne pour enregistrer la formidable poussée, comme dans une équipe de rugby on place spontanément les costauds à l'avant, laissant les lignes arrière aux feux follets. Et Balzac s'est penché sur les mécanismes industrieux, laissant les chevaux-légers du romantisme jouer au jeu délicat de l'amour.
In Le Monde des Livres 9 octobre 2008
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"Tout a été dit et redit. La stratégie suicidaire de l'état-major qui prônait l'offensive à outrance envoie des centaine de milliers d'hommes à l'abattoir avec l'idée d'une guerre éclair, d'une guerre haïku en somme, quand on sait ce qu'il en a été, quatre années sous terre, et des milliers de volumes racontant l'horreur, la stupidité d'un général Nivelle organisant la grande tuerie du Chemin des dames, les assauts inutiles pour reprendre Douaumont et au final en faire un ossuaire, la mutinerie des hommes lassés non de se battre mais d'avoir à obéir à des ordres imbéciles, le sauvetage in extremis par l'arrivée des Américains, et puis la grande saignée des campagnes qui se lit sur les monuments, l'effondrement démographique des villages dont certains ne se sont jamais remis, car aux disparus, près d'un sur trois, s'ajoutaient les revenants impotents, gazés, alcooliques, toute une génération entre vingt et quarante ans qui ne serait plus là pour assurer le renouvellement de la population, le déficit d'hommes à marier qui laissait toute une vie de solitude à des milliers de jeunes femmes, lesquelles, tout de noir vêtues en souvenir d'un père, d'un mari, d'un fiancé ou d'un frère, erraient dans les villages au soir de leur vie, ayant parfois du mal à refouler encore cette somme de frustrations qui avait été leur fidèle compagne. Sans oublier le traumatisme des morts en série planant dans les esprits, entretenu par la propagande, au point qu'il semble qu'on ait suspendu ces pendrillons noirs et argent en signe de deuil à l'entrée de chaque commune. On sait. Et comment le pays épuisé baisse définitivement les bras, incapable de soutenir plus longtemps ce rang de grande puissance que lui avait légué les siècles. On sait tout ça. Ce qui est étrange, c'est, un siècle après, d'en être encore à ressasser ce deuil interminable. On pourrait bien sûr dire que la Première Guerre mondiale est l'acte fondateur du XXe siècle, qu'elle donne le "la" tragique, que s'y intéresser ce serait en fait tenter de comprendre les mécanismes historiques qui ont contribués aux exterminations massives qui ont ponctué tout le siècle noir et qui en découlent plus ou moins directement. De manière peut-être à en tirer des leçons. Ce qui serait la version "raisonnable". Mais on peut penser plutôt que la Première Guerre mondiale a un effet de sidération. C'est le dernier conflit classique, deux armées s'affrontant sur le terrain (et on se rappelle comme le "terrain" labouré par les obus, les boyaux, les tranchées, s'est imprimé dans notre imaginaire). Pas de conflit idéologique, pas de déchirement intérieur, la défense du pays, c'est le b.a.-ba de l'engagement. La guerre élémentaire en somme. Après, et ça commence en 1917 en Russie, c'est la couleur politique qui tranche au sein même des peuples, jette les deux bords l'un contre l'autre."
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Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix ? L’imagination s’emballe: la caverne d’Ali baba ? Le bois de la vraie Croix ? La voix de Rudolf Valentino ? On la casse et l’avale. On apprend qu'elle contient oligo-éléments et vitamines, glucides et lipides, mais que la caverne d’Ali Baba est dans la tête de Shéhérazade, le bois de la vraie Croix dans l’arbre de la connaissance et la voix de Rudolf Valentino dans le regard du sourd.
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Sous la fièvre, à des bribes de mots, des convulsions de terreur sur les visages, on reconnaît le ressassement halluciné de ces visions d’enfer, les corps à demi ensevelis, déchiquetés, écartelés sur les barbelés, bleus étourneaux suspendus dans la pantière à qui semble refusée l’ultime consolation de s’étendre, d’attendre la joue contre la terre humide la délivrante mort, animés de hoquets grotesques à l’impact des balles perdues, soulevés comme des pantins de paille par le souffle d’une explosion, décrivant dans le ciel haché d’éclairs un rêve d’Icare désarticulé avant d’étreindre une dernière fois la lise féconde, bouche ouverte en arrêt d’effroi, regard étonné pour tout ce mal qu’on se donne, tandis que le casque renversé se remplit d’une eau claire sauvé du bourbier, vasque délicate pour le jour des colombes.
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La 2 CV est une boîte cranienne de type primate:orifices oculaires du pare-brise, nasal du radiateur, visiaire orbitaire des pare-soleil, mâchoire prognathe du moteur, légère convexité pariétale du toit, rien n'y manque, pas même la protubérance cérébelleuse du coffre arrière.
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[...] cette impression désagréable de n'avoir pas été maître de son destin: on ne se convainc pas facilement qu'autrement n'eût rien changé, on ne retient que l'éventualité d'un meilleur gaspillé et enfui. On ne retient que l'intolérable.
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Page 76 :
On cherche. Et d'abord à savoir. Pourquoi croyez-vous que vos ancêtres s'enfonçaient dans le profond des grottes, qu'ils se faufilaient par les brèches de la roche pour tapisser ces niches de pierre de leurs "adresses", et de leurs "envois" ? Ces failles telluriques sont nos boîtes aux lettres. Il s'agit dès lors pour nous de repérer ces caches où se blottissent les esprits de la Terre, par où nous pourrons entrer en communication avec eux. Car ce sont bien ces esprits qui manifestent toute leur puissance dans cet agencement de blocs formidables au coeur de la forêt où vous vous exercez aujourd'hui à grimper comme des enfants.
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Le temps est humide, c'est un fait, mais l'habitude est telle qu'on finit par n'y plus prêter attention. On jure de bonne foi sous une bruine tenace que ce n'est pas la pluie. Les porteurs de lunettes essuient machinalement leurs verres vingt fois par jour, s'accoutumant à progresser derrière une constellation de goutelettes qui diffractent le paysage, le morcellent, gigantesque anamorphose au milieu de laquelle on peine à retrouver ses repères : on se déplace de mémoire.
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[A propos "Des Champs d'honneur ]

La manuscrit était prêt. Il avait bénéficié des leçons des poètes japonais et des primitifs flamands, des estampes d'Hiroshige et de l'art de la description du nouveau roman., il s'était nourri de toute l'humanité du kiosque, de tous ces témoignages des rescapés des guerres de la vie. Avec mes souvenirs qui remontaient à mesure que j'écrivais, j'avais reconstitué la tapisserie de mon enfance, laquelle se composait de trois panneaux. Comme un retable. Ouvert, les deux grands-pères encadraient notre Saine-Marie des écoles. D'un panneau à l'autre, au-dessus de la tête des miens, je pouvais voir l'orage couvant, puis menaçant, puis éclatant dans le déluge de la guerre. Refermé, il contenait toute mon espérance. De lui j'attendais qu'il me sauve. (p. 273)
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Ce sauve-qui-peut, cet à vau-l'eau. Jamais de son vivant notre père néguentropique n'aurait laissé les portails se démanteler. Sa vigilance ne permettait pas à une brèche de s'entrouvrir, à une peinture de s'écailler, à un toit de fuir, à un tuyau de goutter. On lui donnait Venise, il sauvait la Sérénissime des eaux, cimentant les façades, habillant les boiseries de Formica, asséchant les canaux, inventant des gondoles sur rails, mais Venise sauvée.
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page 25 : Grand'mère jugeait ces pluies ineptes.Pour elle, il devait pleuvoir une fois pour toutes et qu'on en parle plus. On lui confiait la responsabilités du régime des pluies, elle bloquait huit jours dans l'année pour y faire tomber la quantité d'eau étalée sur douze mois et partageait le reste entre saison chaude (pas trop) et froide (pas trop non plus). Au lieu que là, disait-elle, cette douche
.écossaise à la mode de Bretagne., on n'en sortait jamais.
page 10. Il fumait bien son champ de tabac à lui tout seul, allumant chaque cigarette avec le mégot de la précédente, ce qui, quand il conduisait, embarquait la 2 CV dans un rodéo improvisé.
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Le mensonge organisé, mis en scène, officialisé, dénoncé parfois sans que ça change quoi que ce soit, est le bain amniotique du consommateur moderne qui vit dans un monde entièrement retapissé d'images manipulées, trafiquées, fautives, et pour souvent d'images défuntes. Ce saumon cabré sur le couvercle d'une boîte de conserve, arc-bouté contre le courant pour rejoindre les frayères n'a connu qu'un filet monumental immergé dans un fjord où, parmi des dizaines de milliers de congénères, aussi serrés que des poulets en cage, couvert de pustules il a été nourri d'antibiotiques et de farines broyées de carcasses animales. La grande fraternité des exploités entre eux.

P107.
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Mais la vérité, c'est que dans le choix binaire qu'offre la naissance, je partageais avec notre mère d'être un solitaire.L'esprit de camaraderie, vital pour l'enfant unique qu'était notre père, m'était étranger. Un avantage, parfois.Cette posture qui consiste à se débrouiller seul, sans jamais rien demander, convient parfaitement à l'écriture. L'écriture se condamne d'elle-même si elle appelle à l'aide.Le surgissement de phrases inédites sur un terreau de solitude, c'est sa récompense et son châtiment, sa vanité et sa prétention, son humilité et sa grandeur (..)

( p.51)
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Carpe diem. C'est tout ? Juste profiter du jour qui passe ? Mais ça, cette injonction, ne pas se soucier du lendemain quand aujourd'hui est déjà un problème, hormis pour les oiseaux du ciel et les nantis, c'est précisément ce qui constitue la pierre d'inquiétude de la majeure partie de l'humanité. (...) On peut fixer une date de départ en retraite, mais sa date de fin relève de la loterie de la vie. Problème, cette roue de la loterie est truquée. Lors d'un retour au pays natal, j'ai vu mourir Abilio et Bébert qui venaient tous deux de passer la cinquantaine, d'avoir inhalé pendant des années, l'un les vapeurs toxiques de cales de bateaux et l'autre les vernis d'un atelier de menuiserie. Tous deux, poumons dévastés. Ce qui revient à dire que deux moribonds ont cotisé pour les gens en bonne santé. On n'appelle pas ça la justice.
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Mais bien sûr qu'ils ne vivaient pas au fond des grottes. Est-ce que les enfants sont condamnés à demeurer dans le ventre de leur mère ?
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