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Citation de Calvera


Rétrospective d'un grand affichiste de cinéma d'avant et d'après guerre
par JEAN SEGURA
Une version de cet article a été publiée dans Libération le 28 août 1998, sour le titre : "Grinsson, une vie couverte d'affiches"

Le facteur sonne toujours deux fois , Gilda , Le jour où la terre s'arrêta , Les sept mercenaires , Les quatre cents coups , etc. Ce sont là quelques-unes des deux mille images hautes en couleurs que Boris Grinsson, affichiste de cinéma, aura laissées au cours d'une longue carrière qui s'étend de 1929 à 1973. Dans les rues, le métro ou à l'entrée des cinémas, ces affiches étaient là pour attirer notre regard et nous donner envie de nous engouffrer dans les salles obscures.

Aujourd'hui, paisible nonagénaire, le graphiste du Beau Serge et de Hiroshima mon amour continue de peindre pour lui-même dans sa maison près de Fontainebleau. Jusqu'au 29 août, la ville de Melun (avec le concours de la Galerie Intemporel à Paris) lui rend hommage en exposant un échantillon hélas limité de ses affiches et maquettes (dont Cape et poignard, La dame de Shanghai, Les désaxés, L'homme qui en savait trop ou La soif du mal et quelques cinquante autres pièces dont un portrait de Rita Hayworth) ainsi qu'une trentaine de ses tableaux "figuratifs stylisés" comme il les décrit lui-même et dont les prix s'échelonnent entre 4000 et 16000 francs. ("Boris Grinsson, des affiches et des toiles" jusqu'au 29 août, Espace Saint-Jean, 26 place Saint-Jean, 77000 Melun. Tél : 01 64 52 10 95).

Né à Pskov en Russie en 1907, Boris Grinsson aura traversé un siècle d'histoire et de cinéma. Fuyant la révolution bolchévique, sa famille erre entre la Finlande et les pays baltes avant de se fixer en Estonie. C'est là qu'après le lycée, le jeune Boris commence des études à l'Ecole des Beaux-Arts de Tartu. Ne trouvant pas de débouchés dans ce trop petit pays, Grinsson part en 1929 pour Berlin "où l'art graphique y était en pleine explosion". Là il se perfectionne à l'Ecole des Arts Appliqués. L'Allemagne pré-nazie est en pleine crise économique, et le jeune dessinateur doit se débrouiller par des petits boulots comme celui de figurant dans les studios de l'UFA à Babelsberg. Si Grinsson ne fera jamais la carrière d'acteur à laquelle il avait un moment songé, le cinéma lui donnera pourtant du travail pendant plus de quarante ans. En devenant d'abord l'assistant d'un affichiste d'origine lettone puis par la suite à son compte, Grinsson commence à dessiner des affiches pour les compagnies américaines comme MGM, Paramount et Universal.

Les maquettes étaient dessinées à partir de photos du film ou bien de l'affiche originale. "Nous n'assistions à la projection du film que si nous en avions le temps se souvient Boris Grinsson, car les délais étaient très courts et il fallait parfois travailler près de quinze heures par jour". Mais l'histoire va encore dévier la route du jeune graphiste lorsque en pleine campagne électorale de 1932, il réalise sur commande une affiche anti-nazie : "inspiré par le peintre Reitel, j'ai dessiné la Mort avec les traits d'Hitler et la croix gammée en guise de faux". Une fois arrivés au pouvoir, les nazis, furieux, font rechercher l'auteur de cette virulente caricature et Grinsson doit rapidement fuir l'Allemagne. C'est ainsi qu'il débarque à Paris avec sa jeune femme allemande un 26 juin 1933. "Heureusement j'avais emporté quelques maquettes avec moi que je pouvais présenter aux mêmes compagnies pour lesquelles j'avais déjà travaillé à Berlin". Grinsson peut donc repartir d'un bon pied, sauf qu'il a fallu se familiariser avec la lithographie, technique alors employée en France pour la fabrication des affiches (et qui le sera jusqu'au début des années 60) alors qu'en Allemagne on utilisait déjà l'offset, plus commode mais moins belle aux yeux des puristes. Pendant quarante ans, l'artiste russe, définivement installé en France, va alors produire des affiches pour presque tous les grands distributeurs américains, comme Universal, MGM, Paramount, Columbia, RKO, Warner ou Fox, et européens comme Pathé, Gaumont ou ACE (filiale de l'UFA). Une seule parenthèse, la période de la guerre qui l'oblige a se cacher à Chateauroux où il gagne sa vie en peignant des décors de dancing et de restaurant et des portraits.

Boris Grinsson aura fait partie de cette génération de graphistes, qui comme Roger Soubie, Constantin Belinsky (un autre russe), Jean Mascii et bien d'autres ont su faire saliver le public par des affiches souvent multicolores, oeuvres populaires et faciles d'accès apportant leur vision, parfois naïve, du film à illustrer. Il leur fallait aussi un talent de portraitiste pour restituer sans les trahir les traits des acteurs. L'utilisation de plus en plus fréquente des montages photo et le passage à l'offset dans les années 60-70 aura marqué d'une certaine manière le déclin de cette génération. Les affiches de Grinsson et de ses congénères représentent aujourd'hui une oeuvre qu'on pourait qualifier de "cinégraphique", patrimoine indissociable des oeuvres cinématographiques pour lesquelles elles ont été créées.
Jean SEGURA
https://www.liberation.fr/arts/1998/08/25/arts-hommage-a-l-un-des-derniers-peintres-du-cinema-grinsson-une-vie-couverte-d-affiches-boris-grins_244307/?redirected=1
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