Pour retrouver le fil d'Ariane il faut que tu remontes au vent, sous l'odeur acérée des roseaux qui escortent votre marche. Il faut que tu reviennes sur le sentier qui part du petit pont, que tu reprennes ta place dans cette descente entre les ombres et la lumière pour sentir à nouveau le souffle de vos voix qui se décalent, par un effet d'écho, sous les coups redoublés du vent et du silence.
La passion est l'ennemie déclarée de toutes les sociétés. Les amants ne sont pas solidaires du reste des vivants. Ils veulent être les Seuls, les premiers ou derniers.
Ce trait bleu pâle, à peine visible en bas d'une carte, est le seul lien avec ta vie et celle de ceux qui te furent chers un jour ou l'autre, et tu t'accroches à sa légende.
Tu l'as tissée toi-même, fil par fil, pour endormir ta fille quand elle était petite. Blottie sous sa couette, la petite t'écoutait en clignant des yeux, jusqu'au moment où sa tête roulait enfin sur l'oreiller.
(...)
Tu reprenais ton récit. C'est pour qu'elle s'y perde et oublie de grandir que tu dressais autour d'elle cette forêt de roseaux.
Nous avons pris congé en plongeant au plus profond de nous, pour nous retirer complètement, à jamais. Nous voilà remboursés des peurs et de la honte, du bonheur partagé. Le silence qui viendra par la suite ne pourra plus jamais nous réclamer sa dette.
Tu y reviens aujourd'hui, trente-cinq ans plus tard, de l'intérieur cette fois. Tu as descendu à l'envers toutes les marches du souterrain du ciel pour venir te cogner à ce mur de béton qui en condamne l'accès depuis toutes ces années.
Je n'étais plus prisonnière de l'armée. Un seul homme avait désormais le monopole de mes distances. J'étais devenue prisonnière exclusive de mon amant. J'étais au moins cela.