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Citations de Jean-Yves Jouannais (34)


Combien d'intelligences sont-elles demeurées libres, simplement attachées à nourrir et embellir une vie, sans fréquenter jamais le projet de l'asservissement à une stratégie de reconnaissance, de publicité et de production ?
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"Les châteaux de sable, je finis par les envisager comme des livres que l'on aurait pu écrire, ou pas, ou partiellement, qui n'auraient pas eu d'ambition artistique, hormis celle de répondre à une obsession, de s'accorder à elle. Les châteaux de sable n'ont pas d'auteur, ils sont des matériaux conducteurs de fable, toujours exactement la même, ont pour vertu cardinale de mesurer le temps et, non seulement font la guerre, mais sont la guerre. Si les châteaux de sable n'avaient pas été la littérature, j'aurais trouvé, dans la littérature justement, milles références aux châteaux de sable. La preuve de l'identité des deux phénomènes, c'est que la littérature avait su traiter, et avait eu le temps de le faire, de tous les aspects, réels, objectifs, comme fantasmés et imaginaires de l'épopée humaine, à l'exception des châteaux de sable. C'est peut-être aussi la raison pour laquelle ma phrase continuait de ne pas me déplaire, parce qu'elle demeurait unique sur cet aspect de la castellologie. S'il m'était venu à l'esprit de compiler les savoirs contemporains comme ancestraux sur cette discipline, mon encyclopédie n'aurait comptée qu'une seule page, composée elle-même d'une unique citations dont j'aurais été l'auteur."
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Nina désire augmenter le coefficient ornemental de l’édifice en ponctuant l’enceinte de pâtés de sable. Elle en réalise six d’assez belle allure. Ce qu’elle a en vue, depuis le début, n’a pas grand-chose à voir avec la nature de mon chantier. Elle construit un château, nécessairement un beau château, pas trop fort le château, plutôt une décoration, l’accessoire stylisé des fables princières qui sont le lot des premières lectures enfantines. Elle tresse une couronne à notre rempart avec l’application et l’amour du beau qu’elle a pu montrer jadis en peignant ses poupées. Puis elle hésite. Sans me regarder, elle abat ses tours. "Trop nul ! C’est même pas beau ! Si t’es d’accord, on fait plus de pâtés. Ça va pas arrêter les vagues." Si je suis d’accord ? Et fou de joie avec ça ! À cet instant, je sais que nous sommes en train de construire le même édifice. Sans plus d’ambiguïté, nous nous liguons contre l’océan, nous faisons la guerre. Elle ajoute : "Il faut consolider les murs sur le côté !" La guerre est l’unique motif de notre activité. Je l’embrasse, ma fille, qui ne m’a jamais paru plus belle.
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Moi, (…) je n’étais fasciné par rien. C’était un regret. C’était à en pleurer tant je le regrettais. Que ce soit la guerre, l’amour, la politique ou tout autre chose – dont les livres-, je n’étais envoûté par rien. J’avais justement souffert de n’avoir jamais vécu sous aucune addiction.
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Tu parles du critère de "facilité". Tu visualises un site où, à l’évidence, la construction d’un barrage est possible facilement. Est-ce que cela peut être parfois le critère de difficulté qui prévaut ? Un endroit où l’eau est si profonde, le lit si large, que tu te lances un pari motivé par le handicap ?
– Non, jamais. Je suis un gagneur. J’ai toujours détesté les châteaux de sable. On sait dès le début que la marée monte et que la construction va être rasée. Ce n’est pas agréable.
– Donc, tes barrages de rivière ne sont pas concernés par la guerre, hormis, justement, le souci de s’en exclure. Tu n’es pas attiré par le choc.
– Non. Avec les barrages de rivière, il s’agit de trouver un équilibre, une transition éphémère, mais qui a une durabilité plus grande que celle du château du sable.
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La page s’est habituée à votre mutisme face à elle et pourtant, combien fort j’aimerais vous le clamer, parmi les littérateurs du siècle, vous êtes le plus grand, le plus juste, le plus original. Votre silence a plus d’intelligence, de profondeur que le bruit de bien des brasseurs de mots. Seule l’ambition est référence ; la vôtre est immense, indépassable, idéale. Et cela n’a pas à voir avec ce que le populaire entend par l’expression : « il n’y a que l’intention qui compte. » Non, je parle de votre ambition littéraire comme d’un absolu. Si votre silence mérite tant le respect du siècle c’est qu’il est exactement le contraire d’un aveu de médiocrité et d’une incapacité à écrire, mais bien le signe d’un projet aux rivages jusqu’alors inabordés, d’une idée de la littérature si vertigineuse qu’aucun grand homme avant vous ne l’avait conçue. Il existe des écrivains muets comme il existe des volcans en sommeil ; leur nom infernal aux résonnances mêlées de soufre, de feu et de mort n’en fait pas moins trembler les hommes.
[…]
Votre fidèle Marcel Proust
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Une plage de Vendée. La Tranche-sur-Mer, le 3 juillet, 15 heures. Nina, 8 ans, Kolia, 4 ans, et moi, commençons un chantier, sable et pierres, sans plan établi. "On va faire un château !" Juste ça. Nous nous accordons sur ce nom de "château", pratique, séduisant, quand je sais pertinemment que ce que nous allons ériger, face à la marée, est un barrage. Un barrage contre l’Atlantique. C’est de guerre qu’il s’agit, dès lors, sans détour. On ne parle pas de cela aux enfants. Surpris en leur compagnie, dans un musée, par une toile de bataille, tandis que le sang y coule à flots, que les corps y sont passés au fil de l’épée, nous détournons leur attention sur les drapeaux multicolores qui décorent le ciel au-dessus des phalanges rompues. On s’entend répondre à leurs questions inquiètes : "C’est un tableau sur le vent."
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La tour rompue du château de Heidelberg, Hugo, ailleurs, l'a comparée à un crâne, saisi qu'il fut par les orbites ombrées que son intérieur révèle et ce qui ressemble fortement aux cartilages broyés d'un nez. Il n'est pas sans savoir que ces ruines dont il préfère ne pas citer l'auteur de génie devinrent, au début de son siècle, un symbole du romantisme naissant. Plus qu'un symbole, une matrice artistique, l'état séminal d'un manifeste. Aussi se sent-il démuni, et le ricanement lui reste seul pour oublier que cette ruine précisément a doué de parole sa propre bouche d'ombre, que cet éboulis de guerre vieux de deux siècles n'est autre que la figure fantomatique qui lui dictera son œuvre, infusera dans son esprit le gabarit et les couleurs de son esthétique. Victor Hugo badine, affolé par l'insupportable intuition que sa littérature est précisément née de ce tas de cailloux abattus avec une rusticité, une virulence, un grotesque, une ampleur, une dramaturgie qui deviendront la marque de son style.
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Emmanuel Evzerikhin couvrit comme photographe toute la bataille de Stalingrad. La ronde enfantine dont il capte le souvenir ce jour-la deviendra le symbole du tournant majeur de la Seconde Guerre mondiale, de ce duel à mort dans le coude de la Volga. Ce groupe demeurera en effet, à l’issue des combats, la seule construction encore verticale dans Stalingrad évanouie.
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(...) quand je lève les yeux, je rencontre des regards qui disent : "Quelqu'un qui n'est pas d'ici". L'étranger se trahit tout de suite par l'intérêt qu'il porte aux ruines.
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Éric me dit que le thème de ma bibliothèque rapportée d’Allemagne n’était sûrement pas la guerre, que je m’étais trompé tout du long, comme si j’avais voulu étudier la métaphysique dans des livres de cuisine, et qu’à l’évidence c’était une certaine idée du burlesque qui les réunissait.
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« Paris.- 28 janvier 1921. Inhumation du Soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe. Le cercueil porté par quatre soldats arrive devant la tombe » . Les porteurs vont au pas, leur pied gauche est levé. Ils regardent devant eux, vers ce qui doit être le bas des Champs Élysées, et l’assistance autour d’eux regarde dans la même direction. Personne ne regarde le cercueil recouvert du drapeau. Ce soldat n’est pas seulement inconnu, il est déjà seul.
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L’archiduc Charles, quant à lui, prit la décision de rester sur la défensive, en face de l’audacieux Masséna. Pompée se mit en marche, et vint camper auprès de la porte Colline. Cinna le suivit de près, et campa vis-à-vis de lui. Déjà les 5e et 2e armées polonaises, adossées à la Vistule, forment un ultime bouclier à l’est de la capitale. En face d’elles se déploient les 4e, 15e, 16e et 12e Armées rouges, prêtes à balayer le dernier rideau de troupes qui les sépare de l’Occident. Lord Wellington mit son quartier général à Cartaxo, en face de Santarem, et les deux armées, séparées seulement par le Rio Major, restèrent en présence. Les deux armées restèrent ainsi campées l’une en face de l’autre au cours de l’hiver et du printemps. La division Vandamme a en face d’elle, à moins de cinq cents mètres, la partie russe de la quatrième colonne sous Miloradovitch : de gauche à droite, les régiments de Smolensk, d’Apchéron et de Petite-Russie. Tout à coup, les tranchées s’effondrèrent des deux côtés. Ce fut aussi embarrassant que de voir une dame nue dans son bain ! Les ennemis, de part et d’autre, se sentaient horriblement gênés… Personne ne tira. Les siècles semblèrent reculer au temps où les armées se faisaient face en gardant des manières. Nul ne sonna l’assaut. Les ennemis s’observaient. Les deux armées se voyaient l’une l’autre et campaient face à face ; et comme Vercingétorix disposait des éclaireurs pour empêcher les Romains de faire un pont et de franchir le fleuve, César se trouvait dans une situation fort difficile. Soldats et marins se dévisagent, l’arme au poing, prêts à s’entretuer.
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MOAB est le fruit de ma collection de citations de guerre, partition de L’Encyclopédie des guerres. C’est un fruit inattendu, poussant sur les branches d’un arbre d’une autre espèce, plante hémiparasite ayant élu domicile dans une encyclopédie sans l’agresser ni la dénaturer.
Il s’agit d’un montage de bribes de littérature de natures diverses. L’ajustement des éléments y est approximatif. Ni les temps verbaux, ni les sujets ne sont raccord : une phrase de Chrétien de Troyes, de Churchill, de Jules César ou de Jünger, une poignée de mots de Masséna, Polybe, Jomini, Barbusse, Tite-Live, Malraux… Cela bégaie de n’avoir pas été raboté, jusqu’à faire anacoluthe. Non pas telle que certains grammairiens ont désiré classer l’anacoluthe – une figure de style -, mais comme cette infirmité propre à toute langue en formation et qu’aucune grammaire ne sait encore garantir de l’illogisme. Aussi cela s’efforce-t-il de dire, dans ce vrac, ce ressac, le temps illimité d’une seule et même bataille en quoi consiste, en réalité, l’intégralité des guerres. Chacun de ces vingt-deux chants est organisé autour d’un thème ou d’un moment de cet affrontement : « Drapeau » ; « Harangue » ; « Collision » ; « Odorat » ; « Couleurs » ; « Boucherie » ; « Panique ».
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"... sans convoi.

Je quittai la Suisse. Le train, surveillé de haut par les embrasures de bunkers invisibles, traversait des forêts de conifères qui, surprises à l'aube, exhalaient une brume compacte. Sapins et mélèzes par milliers respiraient à l'unisson. Dans mon casque, Ian Curtis, dont je pouvais dire qu'il avait été ma seule idole. Joy Division ressemblait à l'image que je me faisais de la guerre, et avait été comme la bande originale de mes fièvres obsidionales. Cette musique avait été également, je m'en rendais compte ce jour-là, dans ce train qui m'exfiltrait de la Suisse sans guerre mais aux réservistes se faisant sauter la cervelle avec leur arme de service, la source unique de l'exultation et de la danse, de cette danse dite "pyrrhique" ou danse de guerre que j'ai très tôt associée à l'épilepsie - mal dont souffrait Ian Curtis -, dès le jour où j'ai appris l'étymologie du mot - epilépsia, "attaquer, mettre violemment la main sur quelque chose". Depuis, je n'ai plus douté du lien entre les convulsions de l'épilepsie et les chorégraphies du combat, apprenant, progressivement, pour me le confirmer s'il en était besoin, qu'en avaient souffert les plus grands chefs de guerre : Alexandre le Grand, puis Jules César, Charles Quint, Napoléon, Richelieu ; Charles II d'Espagne ; Charles-Louis d'Autriche, tombeur de Jourdan et de Moreau ; mais encore Byron mourant en Grèce dans son uniforme rouge, Jeanne d'Arc lâchant son épée aux pieds des Anglais sur une rive de l'Oise."
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« Ne pas faire » est moins une réponse au tout industriel qu’à la logique commerciale de la société. C’est moins l’objet qui pose problème que l’horizon de stocks qu’il promet ; c’est moins l’artisanat que le devenir-marchandise des tableaux ; moins le travail que la plus-value, les pilonnages qu’il nourrit. Le dilettante n’apprécie rien moins que les formules violentes et molles du marketing. Il ne fait pas campagne. Il n’est pas un homme de la vente, du mensonge. Il donne sa préférence à la paresse.
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Jacques Vaché fut un écrivain de temps de guerre, non pas un guerrier écrivain. La faire, la guerre, suppose une activité a priori exclusive. Les loisirs s’y voient limités aux techniques de la survie. Les lettres de guerre sont donc des messages envoyés de cet endroit où la littérature ne peut s’écrire, où la prospérité lui est interdite. Elles peuvent être lues comme les traces subtiles, en pointillé, d’une visée littéraire, formant une image peu fidèle de celle-ci mais qui la situe dans le champ des possibles. Lettres pareilles à ces silhouettes ombrées aperçues du ciel et qui signalent dans le sous-sol des plaines cultivées les ruines de quelques thermes gallo-romains. Des ruines enfouies, qui font par là même l’économie de la mélancolie, frustrant les peintres des motifs du sublime, flouant l’industrie de la carte postale.
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Bibring découvre une bibliothèque comme elle n’a jamais été vue, comme nulle n’a jamais existé, baignant dans une lumière naturelle et où les effluves naturels, les pollens, la fumée des incendies, le souffle de l’époque s’engouffrent sans frein.
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Emmanuel Evzerikhin couvrit comme photographe toute la bataille de Stalingrad. La ronde enfantine dont il capte le souvenir ce jour-la deviendra le symbole du tournant majeur de la Seconde Guerre mondiale, de ce duel à mort dans le coude de la Volga. Ce groupe demeurera en effet, à l’issue des combats, la seule construction encore verticale dans Stalingrad évanouie.
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Mais sois persuadé d’une chose, laquelle seule est certaine, c’est que si, neuf et dépourvu de mots, venant dans ce monde, tu désirais savoir ce qu’est un moulin, tu ne pourrais pas l’apprendre du meunier, ni même de l’épi de blé, encore moins de la meule, mais seulement de la farine.
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