Citations de Jeanne Benameur (2360)
Notre vie est suspendue.
Qui sommes-nous désormais ? Des émigrants. Des étrangers. Ne pourrions-nous pas être simplement des nouveaux-venus comme on dit de celui qui vient au monde qu'il est un nouveau-né ?
Il a été lui aussi un havre pour les émotions insoutenables des autres. Il a su être ce havre. Toutes les tempêtes se calment. Il faut juste pouvoir attendre. Sentir qu’un autre est là, avec vous, pour traverser, c’est la seule aide.
(P. 124)
Il regarde le vieil homme qui s’est remis au travail, contemple ses mains qui savent ce qu’elles ont à faire.
Il l’envie.
Il voudrait n’avoir jamais à prendre aucune décision.
Ne plus rien avoir à penser. Juste faire des gestes, lui aussi, liés les uns aux autres par une nécessité qui n’a pas besoin d’être réfléchie. Pensée par d’autres, bien avant. Se couler dans une transmission sans parole.
(P. 103)
Mon dieu, comme il aurait pu être heureux avec elle si seulement. C’était la seule avec qui il aurait pu avoir des enfants. Il l’aimait. Il l’aimait si fort. Pourquoi n’a-t-il pas été capable de pardonner. Il entend encore Mathieu lui crier Mais accepter Simon, accepter tu ne peux pas ? Sans pardonner. Pardonner on s’en fout. Tu te prends pour qui ? Tu veux comprendre, toujours tout comprendre, mais on s’en fout aussi de comprendre. Accepter. Juste accepter, merde !
(page 96)
Tu vois, moi j’aimerais ça comme unique meuble si un jour j’ai une maison, une table où on fait tout, on mange, on travaille seul, on peut jouer aux échecs, lire, poser ses coudes et discuter avec des amis toute la nuit. Une maison c’est une table non?
(P. 76)
Écouter et parler, n’est-ce pas ce qui rend humain chaque être ?
(P. 69)
À quoi bon trier, ranger, archiver ? Préparer son départ, c’est le retarder, c’est tout. A trop attendre, on ne fait plus.
(P. 22)
Le silence qui vient des livres parce que ceux qui les ont écrits ont accepté de s’y enfoncer. Habiter avec les livres, c’est habiter avec le silence des autres. Une compagnie qui ne l’effraie plus.
Dessiner c’est un moment de lien avec ceux du monde qui ne roule pas. Drôle de lien. Il faut saisir du monde juste ce qu’il veut bien donner aux yeux.
Une image faite de ses mains. Imparfaite. Qui ne lui dit jamais le monde tel qu’il est au moment précis où il le contemple. Qui lui dit juste ce que lui est ce jour-là, devant le monde.
Elle mesure qu'elle est et restera seule, celle par qui le savoir arrive. Et comment désormais ne pas se demander si c'est un bonheur ou un malheur pour chaque enfant d'apprendre ? Il faudra toujours se poser cette question avant de les obliger à s'assoir, à écouter, à répéter. Elle ne pourra plus jamais être innocente.
comme toi j'avance
j'apprends ton pas léger
le chagrin ne meurt pas
mais on apprend à marcher d'un pas différent sur la terre
et vivre nous est possible
Pieds nus devant la mer, on est toujours une petite fille.
Aimer c'est juste accorder la lumière à la solitude.
Et c'est immense.
Il aime pour la première fois. Et c'est violent. Parce que, dans le même temps, il mesure à quel point chacun est seul.
Une épiphanie double. Maudite.
L'oiseau est seul dans le vol des oiseaux, le mouton dans le troupeau et chaque pierre sur le chemin.
Les êtres humains, c'est pareil.
On croit qu'il suffit d'aimer pour faire corps avec le reste. C'est faux.
Elle a renoncé à connaître l'origine de la guerre en elle. Après tout, le champ ignore la main qui pose la mine.
Pour certains c'était la merveille , l'Amérique. On n'attendait qu'eux pour travailler et tout était prévu. Aucun souci à se faire. Il y avait déjà des compatriotes qui s'occupaient de tout : trouver l'emploi, le logis, parler la langue à leur place et discuter avec tous ces Américains qui n'étaient pas comme eux pour toutes les choses matérielles. Ceux-là étaient des malins partis plus tôt et ils savaient se débrouiller. Ils en faisaient profiter les nouveaux venus.
Le jour est encore dans l'ombre laiteuse de la nuit quand tu ouvres la porte. Dehors, on dirait que la clarté s'effiloche alors qu'elle se forme. Le début et la fin se ressemblent.
Le rythme de tous ceux qui ont respiré sur ce chemin, sur tous les chemins, pénètre par la plante de tes pieds.
Ta grand-mère a encore les yeux tournés vers là où tu as disparu. Les paroles qu'elle n'a pas pu te dire volettent autour d'elle, s'éparpillent, ne trouvent nulle part où se poser, s'égarent. Et elle ne parvient plus à retourner à ses tâches. Il lui faut un temps avant de retrouver sa tête, comme elle dit.
Le bonheur qui dépend du retour de quelqu'un c'est fragile.