Jeanne Deumier

Aujourd'hui, la moindre barre chocolatée industrielle me donne de la tachycardie et se solde par un endormissement et des maux de tête quasi instantanés. De quoi me couper de toute tentation. Sans compter l'impression de croquer dans deux cents sucres en même temps .

Nous sommes dans l'excès, dans l'abus, car nous désirons des solutions instantanées. Nous voulons trouver un remède immédiat à tous nos problèmes sans les régler...

[p139]

On était jeunes, beaux et libres, et bouffer des sandwichs et boire des sodas c'était une façon de le revendiquer, je crois. Enfin, nous avions tous la chance d'être en bonne santé et de déborder d'énergie. Sauf qu'à 14 heures, quand les cours reprenaient, la moitié de la salle dormait sur les tables jusqu'à 16 heures. C'est normal, c'était les hormones, l'adolescence, tout ça tout ça... Le fameux coup de barre auquel on ne peut échapper après le déjeuner. Bizarrement, ce coup de barre a disparu lorsque j'ai changé mon alimentation. Surtout quand j'ai arrêté le sucre et le pain blanc.

[p22]

Pourquoi mon ventre recrachait il systématiquement ce que j'y mettrais? Pourquoi me faisait il tant de mal? Au fil du temps et sans en avoir conscience, je le maltraitais et il me le rendait bien. Plus il faisait des siennes et moins je lui prêtais attention... Nous aurions pu continuer d'entretenir ce rapport malsain longtemps sauf que mes ulcères auraient continué à se répandre et qu'il aurait fallut envisager une intervention chirurgicale. Mais que cherchait il à me dire? Je regrette qu'il n'ait pu prendre la parole, j'aurai gagné tellement de temps!
J'en suis venue à cette déduction très simple: avec Crohn chaque fois que je mettais quelque chose dans ma bouche, c'était le début des souffrances. Il y avait donc bel et bien un lien entre ce que je donnais à mon estomac, cet état inflammatoire qui me rendait malade et mes vilains ulcères. Si je pouvais l'empoisonner et le faire réagir je pouvais certainement arriver à l'apaiser, lui faire du bien, le guérir et nous réconcilier. J'en venais à considérer cet organe comme un être vivant dont il fallait que je prenne soin. J'allais lui donner du sain, du bon, du frais. L'objectif était simple : faire de mon alimentation mon médicament.

[...] les gens n'aiment pas qu'on touche à ce qu'ils mettent dans leur assiette, ils n'aiment pas être culpabilisés. Et critiquer leur mode de vie revient à remettre leurs valeurs en question. Et puis c'est difficile de reconnaître qu'on a pu tout faire de travers jusque-là. Se tromper alors qu'on pensait bien faire. Réagir par le déni, rien de plus normal.

[p60-61]

C'est donc avec cet ostéopathe que j'ai abordé une voie nouvelle,vers le soulagement, vers la pleine santé. Sans me le dire, il allait m'accompagner bien au delà de l'absence de maladie. Petit à petit, il arrivait à me convaincre qu'il fallait s'adresser à ma personne toute entière et non à un simple organe. Que tout ce qui me paraissait superficiel comme mes sensations,mon souffle, mes émotions et mes pensées formaient en fait un tout capital et que c'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas dissocier le corps et l'esprit. Il a fait comprendre que j'étais comme morcelée , déconnectée et qu'il me fallait me restituer en une seule unité. Voilà pourquoi il fallait prendre en compte mes relations sociales et mon environnement, responsables de mes émotions et mes blessures.

Car Crohn est vicieux, ses symptômes ne se voient pas et il nous fait passer pour des menteurs, des êtres fragiles qui somatisent en permanence.

[p28]

Dans le service gastro de l'hôpital, tout le monde avait l'air si triste, si inquiet, et désemparé. Je devais sûrement avoir la même tête ! Déjà perdants avant même d'être appelés dans le cabinet du medecin, nous savions que nous allions parler sans être écoutés. Pourquoi les services médicaux sont ils incapables de nous apporter l'empathie dont nous avons tant besoin quand nous nous trouvons dans l'attente, la souffrance et l'inquiétude ? (...)
Autrefois les médecins écoutaient leurs patients, les palpaient et les observaient. Aujourd'hui, ils se contentent de lire des écrans, faire des radios, des tests de laboratoire et de prescrire des médicaments. Tout est fondé sur des algorithmes préétablis. Cela supprime le choix du traitement, supprime l'adaptation du traitement au malade. et la discussion partagée notamment sur le mode de vie.

Les jours et les semaines qui ont suivi, j'avais de plus en plus de mal à digérer ce que je mangeais. J'avais des nausées en permanence. J'ai passé tout l'été comme ça. Sans comprendre ce qui m'arrivait. Je pensais souffrir d'une gastro un peu vicieuse, pas vraiment violente mais toujours présente. Je le suis mise à pratiquer dangereusement l'automédication pour continuer de vivre le plus normalement possible. Motilium et Smecta étaient devenus mes meilleurs amis.

La guérison passe par un retour aux sources, au naturel, au vrai. Exit les produits transformés avalés à la va vite et bienvenue aux légumes anciens dégustés en pleine conscience. Je n'ai qu'un regret aujourd'hui, celui de ne pas avoir grandi dans ce mode de vie. Mais mes placards regorgent désormais de graines et de légumes qui remplacent les biscuits et les chips de mon enfance...