J'avais besoin de croire que je n'étais pas capable de faire du mal à un bébé, à mon bébé, alors qu'au fond de moi je connaissais pertinemment la vérité. L'esprit a une drôle de façon de vous faire accepter ce que vous refusez d'admettre.
L'homme que j'ai aimé plus que tout au monde se tient devant moi, et je me rends compte subitement que je n'ai jamais cessé de l'aimer. Est-il seulement possible de se détacher de quelqu'un qui représentait tout pour vous ?
"Juste" tenir le coup ce soir. Plus facile à dire qu'à faire.
Quand j'étais petite, ma mère et moi nous asseyions en haut de l'escalier pour le descendre ensemble sur les fesses. A chaque marche, je criais "Pause bisous!" et nous nous arrêtions pour nous embrasser, avant de rebondir sur la marche suivante." Les jours où nous étions pressées, maman me portait jusqu'en bas, puis elle me regardait d'un air faussement horrifiée. "On a oublié les pauses bisous!" s'exclamait -elle, et elle me couvrait de baisers, un pour chaque marche, pendant que je gloussais en faisant mine de vouloir lui échapper.
Soudain, un bruit sourd à l'étage m'arrache un cri. Quelqu'un est en train de courir au-dessus de ma tête! Avant même que j'aie eu le temps de réagir, les pas rejoignent l'escalier.Cherchant de quoi me défendre dans la pagaille qui m'entoure, je me rends compte que mon porte-couteaux dernier cri est vide: ses six occupants sont plantés si profondément dans le placo du mur que je n'arrive pas à les déloger. Là, je commence vraiment à paniquer!
Des images que j'avais difficilement réussi à refouler me reviennent soudain en mémoire, comme l'eau filtre à travers les rochers. Je me vois le jour où je me suis réveillée à l'hôpital, non pas progressivement, mais d'un seul coup, les yeux grands ouverts. -Le bébé! Au secours, mon bébé! Je suis seule dans la pièce et quand je tente de me redresser mon ventre hurle de protestation. Que m'est-il arrivé? Qu'est-il arrivé à mon bébé?
Les mots me font défaut. J'aimerais me justifier, mais comment? Comment expliquer que mes bras me semblent vides en permanence? Que mon coeur pleure l'absence de mon fils? Que mes yeux voient un enfant mort à chaque coin de rue?
Cette fois-ci, c'est sûr: on va me renvoyer à Oakdale. Je n'ai aucune chance de m'en tirer.