Jeremy Cukierman

Avant-propos

Il y a dans une bouteille de vin bien plus que du raisin fermenté. Les routes du divin breuvage sont autant de leçons de géologie, de topographie, d'histoire, de culture, de sociologie, et d'imagination. Elles nous racontent les conflits, les flux migratoires, les conquêtes, les périodes de trouble, les entêtements de civilisations, les passions et les inspirations. Elles nous offrent un miracle végétal renouvelé millésime après millésime, malgré le gel, la grêle, la canicule, les modes et l'adversité. Elles nous emmènent sur des chemins sinueux, sur des coteaux escarpés, au milieu de la mer, au centre de la Terre, en enfer puis au paradis.
Le vin traverse les âges. Il est le témoin privilégié des évolutions sociologiques, des avancées technologiques, d'un savoir-faire et d'un artisanat qui se transmettent, de la connaissance de nos régions et de nos terroirs. Il incarne un véritable romantisme agricole, pour un produit qui est suivi et choyé de la vigne au verre. Les plus grandes terres de vin ont quelque chose de sacré, d'impénétrable, d'intemporel et de fascinant. La main qui guide le raisin doit ensuite être patiente, minutieuse et inspirée. Elle doit accepter l'incertitude, vivre avec les doutes et comprendre que tout n'est pas rationnel ou contrôlable. Elle doit aussi écouter les Anciens, faire confiance aux cellules qui transforment la matière, puis laisser infuser et accepter que le temps fasse son œuvre. Elle doit, pour finir, interpréter avec sensibilité pour tenter de retranscrire l'émotion. Une fois embouteillé, le vin peut révéler bien des secrets à celui qui sait écouter. Un bouquet immortel qui imprime le palais et l'esprit.

À Gilette, le rapport au temps est différent. Julie et Xavier ont embouteillé, pour l'instant, les "Crème de Tête" récoltés et vinifiés par la génération précédante... Des vins qui, quoi qu'il arrive, leur survivront. Parce qu'à Gilette, le temps a aussi très peu de prise sur ces nectars, même une fois embouteillés. Le 1937, le premier de l'histoire contemporaine, a encore une incroyable vitalité et de beaux jours devant lui. La mère de Julie, Andrée Médeville, avait d'ailleurs coutume de dire que Gilette était comme les hommes : bien trop jeune à 20 ans, commençant à s'assagir à 40, et parfait à 60.

ROMANEE SAINT VIVANT GRAND CRU 201l9 DOMAINE DE LA ROMANEE-CONTI

Un des millésimes précoces et chauds de la dernière décennie et probablenent celui qui a enfanté les vins les plus complets. Cette Romanée-Saint-Vivant a déjà quelque chose d'ouvert et de très invitant. Le nez est riche, avec une forte empreinte de petites baies rouges mûres. Le floral n'est pas encore là, il va s'installer. C'est un enfant, tout en potentiel, pourtant le grand vin est déjà là. Il semble fondu, le tanin n'a aucune aspérité. Il y a une forme d'onctuosité, de caresse, malgré la maturité du fruit. ll est dense et pourtant le toucher de bouche a déjà une grande distinction. Un jeune ténor, qui a déjà une voix immense, imprimante, et va apprendre à encore mieux la poser, avec la patine du temps.

Les vignerons ont un métier passionnant, mais souvent compliqué, soumis aux aléas de la nature et bien sûr du ciel. Dès lors, les consommateurs doivent aussi accepter de payer un peu plus, pour que le vin soit plus grand et plus propre.

Si les changements climatiques bouleversent l'équilibre viticole, à travers, notamment, une montée graduelle des températures, une des solutions pour le vigneron est d'implanter son vignoble en altitude.

Le monde du vin est complexe, souvent intimidant, et même le consommateur qui souhaite être plus responsable peut être un peu perdu et ne pas savoir où commencer.