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Citations de Jérôme Lafargue (147)


D’une poigne encore ferme, le vieux Gustave m’avait agrippé le bras. Allongé dans le pauvre lit de l’hospice où il s’éteindrait quelques heures plus tard, ses yeux aveugles cherchant ma présence au plus près de lui, il me dit alors ceci, d’une voix d’où toute trace de tremblement avait disparu :
– Tu sais, Audric, là où se nichent l’amertume et le renoncement, une promesse viendra toujours les en déloger.
Il toussa alors, puit se mit à rire.
– J’imagine ta trombine ! C’est pas moi qu’ai inventé ça, tu penses ! Mais c’est une belle phrase, et le plus important c’est que toi Audric tu es cette promesse, bien plus qu’Élébotham, et je parle même pas de ton grand-père et de ton père.
Je n’ai compris ses derniers mots que bien des années après sa mort, n’admettant l’impensable que le jour terrifiant où la colère fondit sur Cluquet, forteresse de sable, de bois et d’eau où nous perdîmes tant de choses que nos larmes coulaient directement sur nos os.
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À une ou deux reprises, Johan ne put s’empêcher de sourire devant le ton employé. Il retrouvait un peu du sens de la dérision de son jumeau. Il se souvenait très bien de Maria Sombrano. Une première publication ne s’oubliait pas, d’autant qu’il en avait lu plusieurs esquisses avant la version définitive. Le jour de la parution, les responsables de la revue avaient organisé une fête dans l’appartement de l’un d’eux. Aucun n’avait plus de vingt-cinq ans à l’époque et, s’ils avaient la sagesse de ne pas prétendre révolutionner le microcosme littéraire, ils ne dédaignaient pas à l’occasion y jeter un peu de soufre. Aux côtés de textes inédits de jeunes auteurs, on trouvait ainsi des critiques féroces et des cris de rage devant l’oubli dans lequel étaient relégués de vieux écrivains déchus. Johan participait aux illustrations, mais préférait les agapes d’après bouclage, comme la grande majorité de tous ceux qui firent un bout de chemin avec Hundépendant ! Il s’imagina les émotions que Timon avait dû ressentir lors de l’exhumation de ce texte fondateur.
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L’itinéraire labyrinthique intrigua Johan, qui se posait des questions sur l’équilibre mental du préposé à la signalisation. Sens uniques ou interdits se succédaient sans faiblir, au point que Reuleville, un instant agacé, finit par s’isoler dans une impasse. Le panneau qui la signalait était à moitié recouvert par les feuilles d’une glycine indomptée, qui débordait d’une murette de clôture. Un sourire contrit servit d’excuse à l’officier de gendarmerie. Au cours de ce trajet pour le moins sinueux, ils ne croisèrent que peu de véhicules. L’espace paraissait plutôt dévolu aux piétons, qui eux ne manquaient pas, emmitouflés et encapuchonnés pour se protéger du froid et du vent qui gagnaient sur les hauteurs. Une fois le véhicule garé aux abords d’une grande place, dont l’esplanade semblait faite d’un marbre doré, à peine taché par les intempéries et les oiseaux, ils firent route vers le cœur de la vieille ville. Johan admira en s’éloignant les magnifiques bâtisses collées les unes aux autres qui bordaient la place, toutes installées avec autorité sur d’antiques arcades. Il releva l’épaisseur considérable de ces dernières : leurs assises dépassaient le mètre en certains endroits. Certaines maisons se penchaient de façon croquignolette, comme si elles étaient prises d’une ivresse passagère et sans incidence, sachant pouvoir compter sur la solidité des galeries. Une force sourdait de cet endroit, qui partait du tréfonds de la terre pour rejoindre le dôme du ciel.
Ils s’engagèrent dans une venelle que Johan n’aurait pas remarquée sans Reuleville. Elle grimpait un peu, et il trébucha sur un pavé bosselé ; une faute due à la curiosité : la rue étroite recelait de petits trésors d’architecture figurative. Alors que Johan s’attendait aux représentations classiques de goules, de stryges et autres démons ancestraux dans un tel sanctuaire médiéval, il ne vit aux frontispices des portes, aux bords des fenêtres ou au bout des faîtières que d’élégantes statuettes, visages épanouis d’enfants ou de femmes jeunes, comme nettoyés et brossés de la veille, débarrassés des mouchetures noirâtres du temps. Quelques commerces s’égaillaient dans le passage, un pharmacien, un bouquiniste, une crêperie, un serrurier. Des choses banales dans un endroit paisible. Reuleville marchait assez vite ; quelques mètres les séparaient. Johan pressa le pas pour le rejoindre quand il tourna sur sa gauche. Le gendarme, sans se tourner, lui montra du doigt le panonceau indiquant le nom de la ruelle qu’ils empruntaient à présent : la rue des Paillons.
– On arrive, dit-il simplement.
Johan ne répondit rien. Cette fois, la rue, dallée de lourds pavés à l’instar de toutes les autres, descendait franchement. Aucune maison ne paraissait avoir la même hauteur : certaines, petites et fines, se blottissaient au milieu d’opulentes dont les toits pointus et à multiples déclivités dessinaient des arabesques dans le jour mourant. Les réverbères anciens, bien que disposés à des intervalles peu réguliers, éclairaient avec netteté la rue pentue et la plaque étrange devant laquelle Johan et le capitaine Reuleville s’arrêtèrent.
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Les nuages devaient la prendre pour une vieille loutre à la fourrure fanée, se dandinant sans grâce, loin de ses rivières, sur un sol encombré de cailloux : mais ce n’était qu’une locomotive avec un ou deux wagons à la traîne qui cahotaient à travers des plaines grisées par la lumière de l’hiver. Une uniformité étrange régnait, comme si chaque pré ployait sous le fer de la froidure et de la désolation. Les quelques habitations qui parsemaient l’espace semblaient elles aussi se rabougrir, tassées par des forces atmosphériques irrépressibles. Les arbres étiques qui les côtoyaient de loin en loin tentaient de se projeter au plus haut, leurs branches presque collées au tronc pour davantage de fluidité, mais sans succès : chaque faîte se courbait, tantôt sur la gauche, tantôt sur la droite, empêché par une main géante qui les éloignait avec négligence du ciel.
Johan se demandait ce qui avait pu conduire Timon dans un tel pays, si éloigné de la trépidation citadine et des soirées baroques qui rythmaient son existence jusqu’il y a peu. Johan n’avait pas connu la petite gloire de son frère, pas plus que les multiples tentations qui en découlaient. Mais les errances de sa propre vie le dispensaient d’être jaloux.
Ses pensées virevoltaient dans le presque désert de son wagon. Fébrile, il ne cessait de gigoter sur son siège, soupirait, sans que personne en fût gêné par ailleurs. Son seul compagnon de voyage était un vieux monsieur qui, installé près de la porte coulissante à plusieurs rangées de lui, n’avait cessé de lire un journal dont le froissement des pages, parfois désagréable, s’acoquinait avec le bruit traditionnel du train. Une fois, Johan se leva, pour se débarrasser d’une idée déplaisante. Il traversa le wagon à deux reprises, sans que le vieil homme ne tourne la tête en sa direction. Le patriarche était vêtu d’un costume gris perle, plutôt froissé, d’un gris comparable à celui des espaces désolés qu’ils traversaient. Son visage glabre s’affaissait par endroits ; il avait ôté ses chaussures, qui reposaient, impeccablement alignées, sur le siège vide à ses côtés. Des chaussures noires, couvertes de poussière grise. Johan s’était rassis, plus mélancolique que jamais.
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Tout se résume à une histoire d’amour pour finir. Un amour au-delà de la vision restrictive de l’amour entre deux êtres vivants qui se choisissent. Au-delà même de l’amour filial. Ils sont importants, certes, mais que sont-ils sans les autres formes d’amour ?
Que voulons-nous faire ensemble est bien la seule question qui vaille. Parce qu’il y a un « nous ».
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Le monde n’est ni simple ni complexe, il n’est que ce que l’on décide d’y projeter soi-même.
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Il me faut penser grand. Penser cette grandeur, ces interconnexions multiples, sans frontières ni centre, et rester attentif aux indices minuscules comme aux prouesses technologiques, en montrant de la tendresse, en grandissant mes bras pour prendre soin de tous les êtres sensibles.
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La nature est un fantôme. Une chose que nous avons idéalisée, qui nous échappe et nous nargue, comme un rêve sans cesse recommencé et dont nous ne pouvons jamais reconstituer la trame exacte.
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Le faible peut l’emporter lorsqu’il inverse les rapports de puissance et utilise à bon escient des ressources a priori insuffisantes.
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Je me sens comme traversé par une force qui ne m’appartient pas. Effet de mon conditionnement psychologique ou réalité physique ? Je n’en ai aucune idée. Ce qui compte, c’est que cette sensation, je ne l’invente pas. On me remercie, on m’adoube, on me renforce.
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Il m’arrive de le retrouver au Vieux Marin parce qu’il y dort de façon sporadique ou s’est procuré assez de monnaie pour se payer un bon repas.
En général, c’est un taiseux, mais il fait partie de ces personnes qui m’apprennent combien il paraît agréable de parler avec moi.
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Mon expérience de l’armée sera peut-être précieuse pour dissimuler, camoufler, moins pour élaborer, planifier. Cela viendra peut-être avec le temps.
Mon langage naturel a longtemps été celui de la violence et de la vigilance. Être attentif aux signes, s’attendre à l’imprévu. Quand la brutalité de quelques instants suffit à faire basculer dans une dimension temporelle et spatiale incompréhensible pour le commun. Sans parler de l’odeur de la mort qui colle longtemps à la peau. Les cauchemars qui colonisent les nuits. La picole et la drogue pour oublier.
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Ce dont j’ai besoin, c’est de connaissance, d’intelligence, et d’une forme de lâcher-prise qui me permettra de mieux entrer en communication avec des mondes dont je ne connais pas les ressorts fondamentaux. Ça m’angoisse et me plonge dans un état d’exaltation incroyable. Je n’ai que vingt ans après tout. Le temps m’appartient.
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Historiquement, on est des emmerdeurs, ce n’est pas pour rien qu’il y a eu tant de révoltes ici, des affrontements avec l’armée. Si ce complexe est construit, cela signifie une route en permettant l’accès. Et comme la forêt qui séparera le village d’Aurinvia est domaniale, il suffira de patienter quelques années, et tu peux être sûr qu’on aura droit à une piste quelconque qui permettra de relier les deux. Et le tour est joué.
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Il faut toujours se fier à son intuition. J’aurais pu agir vite, flanquer une peignée à ce mec. Mais il en manquait un. J’ai préféré me donner du temps pour connaître mes cibles.
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Je sais me servir de n’importe quel instrument à portée, jusqu’à la brindille, l’épingle à linge, une affiche, du scotch. Mais je ne ressens aucune espèce d’invulnérabilité. J’ai conscience que je peux moi-même mourir à tout instant, le plus bêtement du monde.
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Trop de rationalité étouffe la spontanéité. Ce qui me préoccupe, c’est qu’en réalité je n’ai plus l’intention de tuer qui que ce soit. Parce que je ne bénéficie plus de l’impunité comme du temps où j’étais militaire ? Non. Surtout parce que ça me dégoûte.
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Lorsque je rentre du travail, je dois m’occuper de Laoline, dont l’espièglerie me ravit. Notre nouveau jeu est d’imiter au mieux les mimiques ou les pitreries de l’autre. Pour une raison imprécise, nous adorons nous y livrer lorsque je lui change sa couche. Une fois nettoyée, elle s’assoit, me regarde avec son air patelin, et c’est parti. Nous rions tous deux à gorge déployée. L’un de ces moments où plus rien n’existe, à l’exception d’une extraordinaire insouciance et d’un oubli radical de tout ce qui n’est pas nous.
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Lorsque j’étais ado, je pensais avoir le droit de revendiquer une certaine forme d’incurie ou d’invisibilité. Ce monde est assez vaste pour héberger les faibles et les nonchalants. Nous ne sommes que des silhouettes qui s’ébrouent au loin et disparaissent dans le brouillard. Je n’allais pas me transformer en ce que je n’étais pas.
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Il est de cette ultime génération qui a profité à plein de la croissance, élevée dans l’idée que la culture du travail représente l’invention la plus salutaire de l’histoire de l’humanité.
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