Entretien avec Jérôme Leroy à propos de son ouvrage Un peu tard dans la saison
18/01/2017
Vous avez inventé dans votre roman un syndrome inexplicable appelé l`Éclipse et pendant lequel, les français décident de tout plaquer. Pouvez-vous nous dire comment ce dernier est né dans votre esprit ?
En constatant autour de moi que beaucoup de gens disaient en avoir assez du type de vie qu’ils menaient, de la façon dont le monde leur semblait violent, hostile. Ils avaient envie d’envoyer tout balader !
Cette Éclipse marque la fin de l’Avant, notre monde actuel, et celui de l’Après, où les hommes semblent avoir retrouvé le goût des choses simples. Les humains sont-ils selon-vous en train de perdre leur naturel ? Sommes-nous selon vous à la fin d’une période ?
Je ne sais pas mais certains indices, notamment sur le plan écologique montrent bien que la Terre ne va pas bien, qu’il va falloir changer si nous ne voulons pas assister à sa fin et à la nôtre par la même occasion. Reste à savoir la forme que ça prendra, ce changement… En douceur ou avec des guerres et des catastrophes
Le roman est écrit en narration alternée entre vos deux héros : Trimbert, le futur Éclipsé et Agnès, l’agent des services secrets qui le surveille. Cette double narration vous est-elle venue naturellement ou bien était-elle volontaire ?
En général, j’aime construire mes romans avec plusieurs voix, cela empêche une certaine monotonie, d’abord parce que le ton change et ensuite parce qu’on ne peut pas faire autrement que de se demander quels rapports les personnages ont entre eux.
Votre héros mentionne à de multiples reprises des écrivains de toutes époques, dont les écrits structurent sa vie. Il cite par exemple Aragon, Brautigan, Roger Nimier, George Simenon… Sont-ils vos maîtres à penser ? Quels sont vos classiques ?
Je n’ai pas de maître à penser en littérature mais tout simplement des écrivains que j’aime. Les écrivains que j’aime son ceux qui me donnent envie d’écrire. Il y a aussi, sans doute,le fait que je continue aussi à lire et à écrire de la poésie d’où des noms comme Richard Brautigan ou Louis Aragon qui sont aussi à l’aise dans le roman que de le poème.
La société secrète qui emploie Agnès est très violente et n’hésite pas à faire éliminer les Eclipsés, faisant écho à une dictature. La violence politique est un thème qui vous intéresse particulièrement ? Est-ce l’un des risques qui nous attend selon vous ?
Oui, je pense que même dans une démocratie, on n’est pas à l’abri des poussées extrémistes ou intégristes mais aussi des dangers que peuvent faire peser certains services secrets qui sous prétexte d’assurer la sécurité des citoyens n’hésitent pas à porter atteinte à leurs libertés.
Demain, vous découvrez que l`Éclipse est en marche. Que faites-vous ?
Je m’en vais.
Jérôme Leroy et ses lectures
Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?
Le Monde réel (4) - Aurélien de Louis Aragon
Quel est l’auteur qui aurait pu vous donner envie d’arrêter d’écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
Marcel Proust
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
La Montagne magique de Thomas Mann
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Tous les livres de Jean-Claude Pirotte et tous les livres de Frédéric Berthet
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Marguerite Duras. Je préfère Françoise Sagan
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
« Et souviens-toi que je t’attends » (Guillaume Apollinaire)
Et en ce moment que lisez-vous ?
Le jeune homme vert de Michel Déon
Entretien réalisé par Marie-Delphine
Découvrez Un peu tard dans la saison de Jérôme Leroy aux éditions La table ronde :

Maître et rénovateur du roman noir français, Jean-Patrick Manchette a réinventé le genre du polar dans les années 1970 et 1980. Nicolas Herveaux invite le spécialiste Nicolas le Flahec et l'auteur Jérôme Leroy pour découvrir ou redécouvrir la vie et l'oeuvre de l'écrivain.
PARTENARIAT | Pierre Krause, responsable éditorial de Babelio intervient chaque vendredi pour partager les avis des lecteurs du site https://www.babelio.com/
#bookclubculture #litterature #polar
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" Trop penser au passé, c'est le meilleur moyen d'y passer."
C'était une devise courante chez les survivants, une formule facile à retenir, dont l'auteur était resté inconnu. On la voyait souvent taguée sur des ruines ou sur d'anciens panneaux routiers indiquant des destinations qui n'existaient plus...
Et c'était vrai, au moins en partie.
Guillaume, à l'époque, lisait comme on se noyait. Pour oublier le monde autour de lui.
Le sens de l'humour était indispensable, même dans l'horreur.
Surtout dans l'horreur.
Sa mémoire était devenue une mémoire de survivant. Elle était pleine de trous parce qu'il ne pensait qu'à une seule chose depuis si longtemps : ne pas mourir et que Lou ne meure pas.
Finalement, l'histoire aura été très courte avant la fin du monde.
On dirait que tout s'est accéléré au vingtième siècle, et qu'au vingt et unième, dès les années 2010, tout le monde a compris que ça allait s'arrêter d'une manière ou d'une autre, mais la plupart des gens faisaient semblant de regarder ailleurs ou espéraient qu'en fermant les yeux, ils allaient éviter le cauchemar.
Même Irène la Rieuse était là. Elle n'avait pas hésité, pas un seul instant, et Le Javelot, qui était un peu amoureux d'elle, avait pensé que sa réputation de trouillarde n'était pas fondée et qu'il fallait éviter de juger les gens sur ce qu'on disait d'eux.
Là, nous avancions lentement, nous fiant seulement à nos cartes, nos boussoles, parfois à un vieux panneau indicateur. Ils étaient déjà rares et démodés avant le Grand Effondrement, quand tout le monde n'utilisait plus que les GPS.
" Thymosomaline", voilà, c'était le nom du médicament qui avait transformé les gens en pantins désarticulés et affamés. Un genre de calmant, un truc pour se sentir mieux, m'avait expliqué Guillaume.
- Pourquoi les gens prenaient ce médoc ? Je n'arrive pas à comprendre.
- Ce n'était pas très marrant, tu sais, le monde d'avant. Toute la population était stressée à cause du boulot, de la violence, de la pollution, de la situation politique. On menait des vies de dingues, on avait tout le temps peur, on ne dormait plus... On pensait que ça ne pouvait pas être pire... Comme quoi, on avait tort.
Peut-être est-ce cela que tous les évadés de toutes les époques éprouvent : cette sensation de légèreté, de liberté enivrante, d'espérance joyeuse.
Il se rappelait seulement qu'adolescent, et cela lui paraissait remonter à une éternité, il avait regardé des films d'épouvante. Il avait aimé avoir peur, sans doute parce que la peur sur écran était presque rassurante en comparaison de ce qui se passait dans le monde réel. À cette époque, les cinémas avaient disparu parce que les gens restaient chez eux pour regarder leurs écrans-feuilles, leurs tablettes ou, pour les plus riches, les holo-tv qui donnaient l'impression que les acteurs jouaient devant vous, dans votre salon. Les gens se méfiaient de l'extérieur. Il y avait trop de dangers, d'attentats, d'émeutes, de maladies nouvelles liées à la pollution ou à la nourriture.
On n'était bien que chez soi, le plus souvent perdu dans la Réalité Augmentée.