- Sois rond ! disent les Petits Ronds.
Petit Carré essaie de toutes ses forces.
- Tu dois y croire ! disent les Petits Ronds.
- Je suis rond, je suis rond, je suis rond...
se répète Petit Carré.
Mais rien n'y fait !
« Dans l’Œdipe, il faut tuer le père, mais nous, au contraire, il nous faut le déterrer, il nous faut le faire revivre. Il a été tué socialement par le colonialisme, par les guerres, puis par l’immigration. Au lieu de le tuer, il nous appartient à nous, les enfants, de le faire revivre, de lui faire redresser la tête, qu’il se tienne fier et droit comme quand il se faisait prendre en photo dans son beau costume, pour l’envoyer et rassurer la famille restée au pays. » (p. 209)
Ils [les Petits Ronds] discutent
longtemps, très longtemps…
Jusqu’au moment
où ils comprennent
que ce n’est pas Petit Carré
qu’il faut changer.
C’est la porte !

Voilà l’endroit où je suis né, il n’y a pas tout à fait trente ans. Ce que j’ai appris, bien longtemps après ma naissance, c’est que les autorités ne souhaitaient pas laisser les baraques du bidonville à côté de la Préfecture. C’est pour ça qu’ils ont fait construire à la hâte une cité de transit. Elle était prévue pour durer 6 mois, en attendant qu’on soit logés en H.L.M. J’y suis resté dix-huit ans ! (…)Les murs étaient en carton ou en plastique, si fragiles que lorsqu’il y avait de l’orage, la maison tremblait. En face, de l’autre côté du pont de chemin de fer, le paradis nous attendais, la terre promise où vivaient mes camarades de classe, les Français de souche, le fameux H.L.M. Ah, j’en ai rêvé de ce H.L.M. ! Pendant dix-huit ans, j’ai admiré les fenêtres illuminées. J’étais fasciné. Pendant dix-huit ans j’ai vécu en transit, et cette permanence du provisoire est restée à jamais gravée dans ma tête, à tel point que je ne sais pas vraiment ce que signifie s’installer
C'est pas nouveau, en période difficile, on cherche à détourner l'attention en prenant les étranges comme boucs émissaires. (p.53)
« Attention, il faut que tu sois meilleur que les autres, parce qu’en cas d’égalité tu ne passeras pas. » (p. 57)
Pendant dix-huit ans j'ai vécu en transit, et cette permanence du provisoire est restée à jamais gravée dans ma tête, à tel point que je ne sais pas vraiment ce que signifie «s'installer».
Je suis sorti de prison comme d’autres sortent de Saint-Cyr, une sorte de décoration qui m’imposait dans la cour des grands. Je suis allé voir « La fureur de vivre », « Sur les quais », des dizaines de fois. Je savais que la seule façon d’ouvrir définitivement les portes de la prison et de la misère, c’était par la transgression de l’intelligence, le raisonnement, l’analyse, là où la société française ne m’attendait pas. Mais il m’a fallu attendre de longues années avant de passer de la page des faits divers à la page littéraire
« Une cité composée de baraques toutes pareilles où il n’y avait que des Maghrébins. Elles ressemblaient à un village d’Algérien dont on aurait ôté le soleil, les palmiers et le jasmin. » (p. 93)
Brutalement, j’ai pris conscience du poids de ce mot « dépression ». N’était-il pas le fait de gens qui avaient le temps de penser à eux, de s’apitoyer sur leur sort, n’était-il pas l’apanage des femmes des sociétés occidentales ? Peut-être qu’il appartiendra à la troisième ou à la quatrième génération de s’offrir ce luxe d’une forme d’intégration inusitée