Citations de Jesmyn Ward (177)
Parce que je voulais sa bouche sur moi, parce que dès l'instant où je l'ai vu traverser la pelouse pour me rejoindre dans l'ombre du panneau de l'école, il m'a vue. Il a su voir au-delà de ma peau café sans lait, de mes yeux noirs, de mes lèvres prunes, et il m'a vue moi. Il a vu que j'étais une blessure ambulante, et il est venu me panser.
Quand j'avais treize ans, je savais beaucoup plus de trucs que lui. Je savais que les fers peuvent s'incruster dans la peau. Je savais que le cuir peut trancher dans la chair comme dans du beurre. Je savais que la faim peut faire mal, peut creuser le corps aussi facilement qu'une courge, et que voir ma famille mourir de faim creusait une autre partie de moi. Faisait rebondir mon cœur désespérément dans ma poitrine.
Quelques jours plus tard, j’ai compris ce qu’il essayait de dire, que devenir adulte, ça signifie apprendre à naviguer dans ce courant : apprendre quand se cramponner, quand jeter l’ancre, quand se laisser porter.
Allongés les yeux sous les étoiles,
On se demandait ce qu'on ferait quand on serait grands.
J'ai dit: "Qu'est-ce que tu veux être?"
Et elle a dit: "Vivante."
OutKast, Aquemini
Des fois, on a beau chercher, le monde ne nous donne pas ce dont on a besoin. Des fois, il refuse.
« La mémoire est une chose vivante, elle aussi en transit.
Mais durant ce moment, tout ce qu’elle contient
se rassemble et vit – le vieux et le jeune,
le passé et le présent, les vivants et les morts. »
(Eudora WELTY, Les Débuts d’un écrivain)
Il me regardait comme s'il avait besoin d'un truc que personne pouvait lui donner à part moi.
La nuit, je rêve des bois qui entourent la maison de ma mère, qu'on a rasés, brûlés. Je sais qu'il y a beaucoup de choses détestables là-bas, le racisme, les inégalités, la pauvreté - c'est pour cela que je suis partie d'ailleurs -, et pourtant j'adore cet endroit.
Quand j'y séjourne, j'habite chez ma mère qui vit dans un mobile home blanc installé au fond d'un grand terrain, loin de la route. Des chênes rouges du Sud et des massifs d'azalées et de bulbes parsèment le jardin. (p. 35)
Elle venait de l’autre côté de l’océan, son arrière-grand-mère, et elle avait été kidnappée et vendue. Et elle avait raconté à ma grand-mère que, dans son village, on mangeait de la peur. Elle disait que la peur, ça changeait la nourriture en sable dans la bouche.
Grandir à la campagne, ça m'a appris des trucs. Ça m'a appris que, après le premier gros afflux de la vie, le temps grignote tout : il rouille les machines, vieillit les animaux qui pèlent et se déplument, flétrit les plantes. Je le remarque chez Papa à peu près une fois par an, il est de plus en plus maigre avec l'âge, ses tendons ressortent, chaque année plus durs et plus rigides. Ses pommettes indiennes, sévères. Mais depuis que Maman est malade, j'ai appris que la souffrance aussi est capable de faire ça. Elle peut dévorer une personne jusqu'à n'en laisser que les os, la peau et une fine pellicule de sang.
« Ce n’est pas bon d’utiliser la colère pour détruire.
On prie pour que la colère se change en tempête qui fera jaillir la vérité » ...
Je pensais que mes parents étaient plutôt heureux à l'époque mais je sais maintenant que c'était mon propre bonheur qui m'aveuglait. (p. 99)
Leur chant est omniprésent : leur bouche ne remue pas et pourtant ça émane d'eux. Une mélodie dans la lumière jaune. Ca émane de la terre noire, des arbres et du ciel toujours éclairé. Ca émane de l'eau. C'est le plus beau chant que j'ai entendu, mais je n'en comprends pas un mot.
(p. 231)
Le monde est un chaos de gemmes et d'or qui tournoie en lançant des étincelles.
Ils sourient et ça ressemble à du soulagement, a du souvenir, a de la sérénité.
Mais, c’était impossible de ne pas entendre les animaux, parce que, dès que je les regardais, je les comprenais, direct, et c’était comme quand on regarde une phrase et qu’on pige les mots, ça venait tout d’un coup.
La mémoire est une chose vivante, elle aussi en transit.
Mais durant ce moment, tout ce qu'elle contient
se rassemble et vit - le vieux et le jeune,
la passé et le présent, les vivants et les morts.
Eudora Welty, Les Débuts d'un écrivain
Faut qu’ils voient la peur pour avoir l’impression d’etre des hommes.
Du lever au coucher du soleil il était aux champs, il sarclait, il cueillait, il plantait et il nettoyait. Quand on est poussé à bout comme ça, on peut plus penser. On sent, c’est tout.
Je vieillissais la bouche tordue par l’amertume de ce qui m’était servi au grand banquet de la vie : moutarde brune et kakis verts, acides, pleins de promesses trahies et de déceptions.