La routine de la vie militaire, sa monotonie, les exercices et l'uniformité des réactions attendues sont à l’œuvre pour amortir et émousser tout degré de conscience individuelle. Même le civil enrôlé, qui se sent étranger aux pratiques militaires et qui les trouve bizarres, pourra vite apprendre à s'en tenir aux quelques règles simples qui y prévalent, à être un rouage convenable dans la vaste machine, à suspendre les pensées qui pourraient le rendre inapte à la poursuite de la mission qu'on lui a assignée. Il apprend à attendre les ordres de ses supérieurs et à les transmettre aux hommes qu'il commande. Penser tend à devenir non seulement pénible, mais de moins en moins nécessaire.
La triste réalité, c'est apparemment que la grande majorité des vétérans, sans parler de ceux qui contribuent à les alimenter en armes et en munitions, se sentent aisément délivrés de toute responsabilité après que les événements ont eu lieu, et souvent même pendant qu'ils y prennent part. Bien des pilotes ou des artilleurs n'ont jamais ressenti aucun regret ou remords après avoir décimé des quantités incalculables de civils terrifiés. Plus d'un général ayant gagné ses lauriers au prix de pertes et de souffrances humaines terrifiantes, dans son camp comme chez l'adversaire, pourra se remémorer sa carrière avec une grande satisfaction intérieure. Ainsi sommes-nous faits, nous autres créatures humaines !