Art et folie : les liaisons dangereuses
Une partie de ce qui nous attire chez les artistes est leur altérité, leur refus du conformisme, leur majeur brandi au visage de la société, de sorte que c'est précisément leur a- ou immoralité qui confère à leur travail une valeur artistique et non académique. On sait que Gauguin était dégoûté par la civilisation. Il déclara aussi que l'art était plagiat ou révolution. Et personne n'a envie de passer pour un plagiaire. Les peintres sans le sou se consolent en rêvant au jour lointain où leur folie sera admirée comme génie précurseur.
On peut être entouré de monde et pourtant seul. La solitude est l'état intrinsèque de l'homme. Créé seul, il meurt seul ; et ce qui se passe entre les deux est tout au mieux un palliatif.
Je ne faisais pas exception. J’étais un adorateur du génie ; c’était celui de savoir le dénicher dans une pile. Je m’étais construit une carrière grâce à ce talent et, ce faisant, j’avais fini par croire que je pourrais moi-même atteindre au génie. Qu’ils vivent bien ou dans la misère, j’étais convaincu en tout cas que les génies vivaient plus intensément. Voilà ce que je voyais dans l’art de Victor Cracke. Voilà ce que je désirais. Voilà ce que je recherchais par procuration, ce que je pensais pouvoir obtenir et que je n’obtiendrais jamais.
Il n’y a aucune honte à être quelqu’un d’ordinaire ; ça n’implique pas de jugement moral.
De nos jours, en particulier, il y a tout simplement trop d'oeuvres en circulation pour qu'une personne lambda puisse faire le tri entre les bonnes et les mauvaises. C'est le travail du galeriste. Nous sommes des créateurs aussi, sauf que nous créons des marchés et que notre production englobe les artistes eux-mêmes. Les marchés, à leur tour, créent des mouvements, et les mouvements des goûts, une culture, le canon de l'acceptabilité: en bref, ce que nous appelons l'Art avec un grand A. Une oeuvre d'art devient une oeuvre d'art - et un artiste un artiste - dès l'instant où je vous fais sortir votre chéquier.
Vivez éveillé et vous aurez eu une plus belle vie que le somnambule.

Mes mains tremblèrent en prenant la photo que me tendait Samantha. Je ressentais un mélange d'émotions - de la tristesse, du soulagement, de l'excitation -, mais, avant tout, je me sentais trahi. Au début, il n'existait pas. Au début, c'était moi qui l'avais créé ; j'étais la force motrice. Et puis, alors que nous nous lancions sur ses traces, j'avais été contraint d'abandonner ces croyances, par lambeaux et non sans douleur. J'avais parlé à des gens qui le connaissaient. J'avais goûté ses pommes. J'avais marché dans ses pas. Il était devenu de plus en plus réel et, de crainte de le perdre complètement, j'avais essayé de la rattraper. Au lieu de le minimiser, je m'étais mis à le grossir. Alors j'espérais que, le jour où je poserais enfin les yeux sur lui, il serait un peu plus que ça : plus qu'un nom en caractères d'imprimerie, plus qu'un assemblage de gris confus et de blancs crayeux, qu'une donnée administrative confidentielle ; plus qu'un petit bonhomme aux allures de golem malheureux. Je voulais quelqu'un de monumental ; je voulais un totem, un superman ; je voulais le signe qu'il faisait partie des élus ; je voulais un halo sur sa tête ou des cornes de diable à son front, n'importe quoi, n'importe quoi pour justifier les changements radicaux qu'il avait imprimés à ma vie. C'était mon dieu, et sa banalité me faisait honte.
A New York, on ne fait jamais attention aux autres. Ils sont là, tout le temps, mais on ne les voit pas.
La partie dura environ neuf minutes. C'était l'équivalent en terme de dames d'un nettoyage ethnique.
Le plus souvent , vous arrivez mieux à vos fins en faisant croire aux autres qu'il arrivent aux leurs.