
Comme à mon habitude, je suis descendue au Hilton de Groenplaats où j’avais travaillé comme femme de chambre dans ma prime jeunesse. Mais l’hôtel a subi les caprices de tant d’architectes d’intérieurs que je ne souffre d’aucune mélancolie recouvrant cette période.
Sur la place immaculée, des enfants confectionnaient des bonshommes de neige tout en se lançant quelques boules bien tassées. J’aime entendre leurs cris et leurs rires, voir leurs regards exaltés et innocents, envisageant l’avenir comme une constante découverte des plaisirs nouveaux.
La Belgique a toujours été l’un de mes pays favoris. J’aime son esprit rebelle, son sens de l’humour et son accueil convivial.
J’ai essayé d’appeler Emilio, mais il ne m’a pas répondu. Contrairement à moi, il a une vie, avec une famille, des enfants, un chien. Il doit trouver déplacé que je cherche à le contacter le soir de Noël. Peut-être l’ai-je effrayé. C’est normal, il sait ce qu'il encourt.
Il est vrai qu’avec la matinée passée dans les transports, j’en avais presque oublié que tout s’arrête le 25 décembre.
Après avoir arpenté les rues à regarder les vitrines de luxe, je me suis arrêtée dans la cathédrale. Je ne sais pas pourquoi j’y suis allée. J’ai lu la drôle de légende de Nello et Patrashe publiée sur un pupitre de plexiglas installé devant une toile. Un orphelin accusé à tort d’avoir mis le feu à un moulin se retrouve sans travail ni argent. Il termine son errance misérable dans cette église, la nuit de Noël, pour y contempler cette peinture intitulée « La Descente de la Croix ». Et alors le visage du Christ se serait illuminé et Nello et son chien Patrashe seraient morts, rappelés par la grâce de Dieu, libérés des souffrances terrestres. Beau remède que la mort.
Habituellement, ce genre de bondieuseries me laisse de marbre, mais, là, j’ai ressenti des frissons me parcourir le dos et le cou. Comme si un message divin m’était délivré dont je ne comprenais pas le sens. C’était étrange comme sensation.
Dans cette histoire, je serais plutôt celle qui met le feu au moulin, celle qui affame, celle qui tue, celle qui fait croire à de telles histoires, mais qui n’y adhère pas un instant, jamais !
Je me suis finalement enfermée dans ma chambre où j’ai commandé un peu de nourriture et une bouteille de Krug.
C’était ma manière de célébrer Noël, seule, sans personne à tuer, avec juste un peu de Krug pour me tenir compagnie. Au fil des ans, cette date s’est vidée de sa magie, de son insouciance, pour ne plus devenir qu’un jour gris comme les autres. Quand on n’a ni famille, ni amis, le sens même de la fête devient étranger. Seuls quelques artifices sauvent encore le peu de vernis qui brille sur cette existence.
Le cadeau, le vrai, sera pour beaucoup plus tard.