Le Cheminot suivi de "lettre d'amour" de
Jirô Asada
Goro déplia la feuille. L'écriture avait changé depuis la première lettre, celle de la veille. Le tracé en était malingre et tourmenté. Les caractère couvraient le papier bleu.
"Goro que j'aime beaucoup.
Tant qu'il y a personne, je vous écris en secret. Je suis couchée, j'écris d'une main. Excusez-moi, mon écriture est pas belle.
Depuis je suis arrivée à l'hôpital, j'ai jamais parlé. Si je parle japonais, on me demandera trop de choses ; alors je parle chinois.
Certainement je vais mourir. Les médecins croyaient je comprends pas le japonais et discutaient. Et je connais beaucoup de filles qui ont eu comme moi. Alors je comprends. C'est mon tour. Voilà.
Les infirmières sont gentilles, elles m'écrivent toujours des messages pour demander le numéro de téléphone de ma famille. J'ai donné celui de M. Satake. Pardon. Je pensais : de toute façon la police est au courant.
Je vous connais bien, Goro. Au cas où je me ferais pincer, M. Satake m'a écrit votre adresse, votre âge, votre caractère, vos habitudes, vos plats préférés. Je me rappelle bien tout. Je lisais tous les jours pour pas oublier.
J'ai aussi des photos. Quatre pareilles. Je les ai toujours sur moi. Je les regardais tous les jours pour bien me souvenir et je suis tombée amoureuse de vous. Comme je vous aime, mon travail est dur. Avant le travail, toujours je vous demande pardon. Je peux pas faire autrement, mais pardon.
Si je me donne du mal pour travailler et je rembourse mes dettes, est-ce que je pourrai voir Goro ? Est-ce que je pourrai vivre avec lui ? Je me disais toujours ça pour travailler beaucoup. Mais j'en peux plus.
Vous êtes toujours souriant. Vous fumez pas, vous buvez un petit peu ; vous êtes pa bagarreur ; vous aimez pas la viande, vous aimez le poisson ; n'est-ce pas ? Alors, moi aussi j'ai arrêté de fumer. Je bois un petit peu ; je mange pas de viande ; je mange du poisson.
Mes clients ils sont gentils. Mais je vous oublie jamais quand je travaille. C'est vrai. Je me dis : mon client c'est vous. ça m'aide à travailler bien et mon client il est content.
Là où vous êtes né, c'est pas loin de la mer, n'est-ce pas ? Quand je suis venue ici j'ai regardé dans une carte en pensant : c'est près. Mais c'est très loin alors j'étais déçue. Mais c'est comme moi. Vous êtes comme moi, vous venez de loin pour travailler.
Quand je serai morte, vous viendrez me voir ? Si vous pouvez venir, je vous demande une chose : je peux entrer dans votre tombeau de famille ? Je peux mourir comme votre femme ? Je vous demande trop, pardon. Mais c'est seulement ça, je vous demande.
Grâce à vous, j'ai travaillé beaucoup. J'ai envoyé de l'argent, beaucoup. J'ai peur mourir. J'ai mal. Je souffre mais j'essaie être courageuse. Acceptez ma demande, s'il vous plaît.
J'entends la mer. Il pleut. Il fait très noir. Je suis couchée, j'écris d'une main. Excusez-moi, mon écriture est pas belle.
Je vous aime beaucoup, Goro. Le plus dans le monde. Je vous aime plus qu'autre personne. Je pleure : pas parce que j'ai mal ou je souffre ou j'ai peur ; parce que je pense à vous.
Comme je faisais certainement tous les soirs en disant bonne nuit, je pleure en voyant vos photos. C'est toujours pareil. Quand je vois votre photo, vous qui êtes si gentil, ça me fait pleurer. C'est pas parce que je suis triste ou je suis malheureuse, c'est parce que je pense ; merci.
J'ai rien à vous donner. Pardon. Alors je laisse seulement les mots. Excusez-moi, mon écriture est pas belle.
Je vous aime avec tout mon coeur plus que personne dans le monde.
Goro, Goro, Goro, Goro, Goro, Goro, Goro, Goro, Goro.
Tsai-chian. Au revoir."
Avant même d'avoir terminé la lettre, Goro éclata en sanglots.
Extrait du récit "La lettre d'amour"
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