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Citation de Charybde2


Tombée du ciel, la goutte de pluie brillante traversait les ténèbres vers les lumières chevrotantes de la ville portuaire. Les rafales froides du nord-est la chassèrent vers les lignes de partage de cette ville – dans le sens de la longueur, le fleuve asséché, et, en largeur, le chemin de fer désaffecté. Les quatre quadrants numérotés dans le sens des aiguilles d’une montre ne portaient d’ailleurs pas de nom. Pas de nom dont leurs habitants se souviennent en tout cas. Et quand vous rencontriez ces mêmes habitants loin de chez eux et que vous leur demandiez d’où ils venaient, il leur arrivait de prétendre ne pas se souvenir non plus du nom de la ville.
La goutte de pluie brillante se ternit et devint de plus en plus grise alors qu’elle perforait la suie et le poison qui reposaient au-dessus des rues comme un couvercle permanent. Malgré la fermeture des usines les unes après les autres au cours des dernières années. Malgré les poêles que les chômeurs n’avaient plus les moyens de chauffer. Malgré ce vent terrible et capricieux et cette pluie incessante dont certains affirmaient qu’elle s’était mise à tomber un quart de siècle auparavant, quand deux bombes atomiques avaient mis un terme à la dernière guerre mondiale. Autrement dit, à l’époque où Kenneth avait été nommé préfet de police. Vingt-cinq années durant, depuis son bureau du dernier étage du Quartier général, le préfet avait exercé d’une main de fer sa tyrannie sur la ville. Qui que soit l’occupant du fauteuil de maire. Qui que les grands seigneurs de Capitol, la capitale, disent et ne fassent pas pour cette deuxième ville du pays, qui avait naguère été sa principale cité industrielle et qui s’enfonçait désormais dans les sables mouvants de la corruption, des faillites, de la criminalité et du chaos. Et puis, il y avait six mois de cela, le préfet Kenneth était tombé de sa chaise dans sa maison de vacances, et trois semaines plus tard, il était mort. Après des funérailles dignes d’un dictateur, le conseil de la ville et le maire Tourtell étaient allés chercher Duncan, un fils d’évêque au font large, directeur de la brigade dédiée au crime organisé à Capitol, pour faire de lui le nouveau préfet de police. Et ainsi s’étaient allumés les feux de l’espoir au sein d’une population surprise.
Surprenant, ce choix l’était, car Duncan n’était pas un policier pragmatique de la vieille école, il faisait partie de cette nouvelle génération de dirigeants diplômés, partisans des réformes, de l’ouverture, de la modernisation et de la lutte contre la corruption, ce que la plupart des élus de la ville n’étaient pas.
L’espoir des habitants d’avoir enfin obtenu un préfet de police droit, franc et visionnaire, capable de tirer la ville des bourbiers où elle s’enlisait, s’était ravivé quand Duncan avait troqué les anciens directeurs de brigade contre ses propres hommes et femmes, triés sur le volet. De jeunes idéalistes immaculés, qui voulaient véritablement que la ville devienne un meilleur endroit où vivre.
Le vent emporta la goutte de pluie au-dessus du District 4 Ouest et du point culminant de la ville, l’antenne de transmission surmontant le studio de radio où la voix grasseyante, solitaire et toujours indignée de Walt Kite exprimait l’espoir que la ville ait trouvé un sauveur. Du vivant de Kenneth, Kite avait été le seul à avoir osé le critiquer ouvertement et l’accuser de certains, au moins, de ses crimes. Ce soir, Kite grasseyait donc que le conseil de la ville allait faire son possible pour reprendre les pouvoirs que Kenneth s’était arrogés afin d’être, en sa qualité de préfet de police, celui qui gouvernait véritablement la ville. Il expliquait en détail que, paradoxalement, ce revirement allait signifier que son successeur, le bon démocrate Duncan, n’aurait jamais assez de pouvoir pour mener à bien les réformes qu’il souhaitait et qui s’imposaient. Kite affirmait que, lors des prochaines élections municipales, « … Tourtell, le maire en exercice – exercice qui ne l’empêche pas d’être le plus gros maire du pays », ne se retrouverait face à personne. « Strictement personne. Car qui pourrait faire concurrence à Tourtell la tortue et son exaspérante carapace de jovialité populaire et d’impeccable moralité, sur laquelle toute critique ne fait que rebondir ? »
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