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Citation de Charybde2


– J’avais vingt-cinq ans, j’étais pauvre, et je venais d’être nommé sous-lieutenant de la garde nationale. Vous ne pouvez imaginer les proportions que prit chez moi l’événement. Ma mère en fut si fière, si heureuse ! Elle m’appelait son sous-lieutenant. Mes cousins, mes oncles, tous démontrèrent une joie sincère et pure. Il y eut bien dans le pays quelques marques de dépit ; des pleurs et des grincements de dents, ainsi qu’il est dit dans l’Écriture ; et pour cette simple raison que, pour ce seul poste, il y avait beaucoup de candidats, et qu’ils furent évincés. Je présume aussi qu’une partie de ce désappointement fut purement gratuit, motivé uniquement par le fait que j’avais été désigné ; je me souviens de certains garçons, dans les meilleurs termes avec moi, et qui de ce jour se mirent à me regarder de travers. Nombre de gens, par contre, se réjouirent de ma nomination ; la preuve en est que la totalité de mon uniforme me fut offerte par des amis. C’est alors qu’une de mes tantes, qui vivait dans une ferme solitaire et retirée à plusieurs lieues de la ville, Dona Marcolina, veuve du capitaine Peçanha, manifesta le désir de me voir, et elle demanda que je vienne avec mon uniforme. J’y allai à cheval, en compagnie d’un domestique, lequel rentra seul en ville quelques jours plus tard, car la tante Marcolina, à peine eus-je posé le pied sur ses terres, écrivit à ma mère pour dire qu’elle ne me libérerait pas, au plus juste, avant un mois. Et elle m’embrassait, m’appelait elle aussi son sous-lieutenant ! Elle me trouvait fort joli garçon. Comme elle était d’une nature plutôt originale, elle alla même jusqu’à me dire qu’elle enviait la jeune fille qui deviendrait ma femme ; elle ne voyait pas, assurait-elle, dans toute la province, meilleur parti que moi. Et de me donner sans arrêt du sous-lieutenant ; sous-lieutenant par-ci, sous-lieutenant par-là, à toutes les heures du jour et de la nuit. J’avais beau lui demander de continuer à m’appeler Joãozinho, comme avant, elle secouait la tête, protestait que non, que j’étais “Monsieur le sous-lieutenant”. De même un parent, frère de son défunt mari, qui vivait chez elle, ne m’appelait pas autrement. J’étais “Monsieur le sous-lieutenant”, et non pas par jeu, mais le plus sérieusement du monde, et jusque devant les esclaves, qui naturellement emboîtèrent le pas. À table, j’avais la meilleure place, j’étais toujours le premier servi. Vous ne pouvez pas vous faire une idée. Si j’ajoute que dans son enthousiasme la tante Marcolina alla jusqu’à faire placer dans ma chambre un miroir en pied, une pièce magnifique et de grande valeur, qui tranchait avec le reste de la maison, où le mobilier était modeste et simple… (« Le miroir », 1882)
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