Ce matelot était de Blanes, comme tout l'équipage. Il devait avoir près de quarante ans, était grand, sec, blond, l'oeil rusé. On l'appelait Vado Sept-Pièces parce qu'il semblait fait de morceaux mal ajustés. Quand il marchait, ses bras pendaient, ballants, sa tête allait d'un côté à l'autre, et ses articulations jouaient comme des charnières trop lâches. On eût vraiment dit qu'il était désarticulé. Faute de hanches, sa ceinture de laine glissait continuellement en spirale jusqu'aux cuisses ; la visière de sa casquette virait constamment sur son front, allant d'une oreille à l'autre. Ce détail, je te l'ai fait remarquer, que les marins avaient en général une allure ferme et assurée, n'était pas vrai quant à Vado. Pour lui, c'était tout le contraire ; il ne cherchait pas à résister aux coups de mer ; il pliait, se conformait à tous les mouvements, se moulait sur toutes les ondulations. Avec cela, bon travailleur adroit dans le métier, actif à la manœuvre et leste comme pas un pour grimper aux mâts et aux antennes, avec l'agilité d'un écureuil.
Le soleil, à son déclin vers les sombres montagnes de Bandine, pâlissait ; il se cacha subitement derrière un petit nuage, puis il reparut au-dessous, avec des fulgurations rouges et brumeuses qui donnèrent à la mer, aussi rapidement qu'un frisson qui passe sous la peau, de vives teintes de carmin et d'or, d'une finesse idéale. L'air se saturait de cette odeur de mer, si bonne à respirer, suave exhalaison des eaux à l'approche des rivages ; la barque était immobile, comme à l'ancre ; aux plis flottants des voiles privées de vent, s'accrochait, en se jouant, la splendeur colorée du crépuscule ; le ciel, plus profond, plus pur, plus pâle à chaque instant, se préparait à la venue des candides étoiles.
Mon père me l'avait dit cent fois : à la mer, ne se perd que qui désespère... il n'y a qu'à ne jamais se déclarer vaincu.
Le malheur, c'est que les femmes ont toutes une case vide... On croit deviner leur goût, on vide sa bourse, et... bernique !... Je n'ai jamais pu en comprendre aucune. Allons ! A notre travail ! Les bateaux sont plus faciles à gouverner, Vado !