Ce livre est celui de la dégénérescence, de la décrépitude, de la déliquescence. Joe Meno nous décrit une zone rurale du fin fond de l’Amérique qui essaye de survivre mais qui se retrouve de plus en plus en marge. Chaque jour est un combat, perdu d’avance. L’exploitation ne permet plus de vivre. Les factures s’accumulent. Tout part à vau-l’eau. La loge maçonnique de la ville voisine a, un temps, porté l’espoir, mais même elle est sur le point de fermer, faute de combattants. Et les vieilles espérances sont toutes déçues, l’une après l’autre.
Il ne lui reste, pour trouver une raison de se battre, que ses souvenirs d’ancien combattant en Corée. Sa fille est une fille sans avenir : après une longue disparition, elle est revenue un beau jour, son fils métis sous le bras. Le père du petit ? Jamais vu, et, de toute façon, elle n’est même pas capable de dire avec certitude qui il est…
Quentin, le garçon, navigue entre sa musique et ses jeux vidéos. Il sniffe de la colle, pour passer le temps. Et il se passionne pour les reptiles. De l’espoir ? Il n’est même pas certain de savoir ce que c’est. En tout cas, rien ne semble lui donner la motivation d’essayer de s’en sortir. Pourtant, c’est un bon gamin, soucieux des animaux.
Dans cette vie morne, l’arrivée de la jument blanche est un électro-choc. Il faut s’en occuper, elle est visiblement prête à accorder sa confiance. Quentin en a autant peur qu’il est attiré.
Le style est à la fois poétique et brutal. Sec et coloré – tout en teintes de gris -. Triste, aussi : chacun des personnages, dans son désespoir, parvient même à être touchant – même les plus odieux personnages. Ils se débattent avec leurs pauvres armes, leurs aigreurs, leurs angoisses. Les filles sont perdues, les garçons sont violents, parce que rien d’autre n’existe autour d’eux. Au début du livre, plusieurs descriptions sous forme d’énumération m’ont fait tiquer (p. 43, énumération des routes empruntées ; p. 97, énumération de sex-shops et cabarets ; p. 120, énumération de films pornos ; p. 126, énumération d’entreprises pyrotechniques). Mais j’ai fini par parvenir à me laisser porter par ces listes qui, finalement, m’ont évoqué le côté répétitif de ces trajets en voiture, avec des publicités toujours identiques, et qui en deviennent presque rassurantes dans leur uniformité.
Et pourtant, dans toute cette noirceur, un cheval – blanc – apporte de la lumière. Une lumière qui rassemble – Jim et Quentin -, une lumière qui brûle – la médiocrité, la grisaille, la noirceur -, une lumière, aussi, qui révèle – les zones d’ombre, les renoncements -. Une apparition, donc, un brûlot.
Ce genre de road-movie un peu halluciné n’est pas forcément mon style de prédilection. Mais, ici, je n’ai pas eu de mal à rentrer dans l’histoire, à m’attacher à Jim et à Quentin. Sans être forcément mon coup de cœur de la rentrée littéraire, j’ai tout de même passé un excellent moment avec ce livre !
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