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Nationalité : Canada
Né(e) à : Montréal , le 5 juillet 1961
Biographie :

Passionnée de la vie et en constante quête de connaissance.
S'intéresse particulièrement à la personne humaine et ses immenses potentialités.
- Co-fondatrice de l'OBNL Les Ouvriers de Paix
- Parmi ses écrits, deux romans historiques publiés
chez Goélette, en 2015 et 2016, l'autre aux
Éditions Tsemantou en 2018.


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Bibliographie de Johane Filiatrault   (3)Voir plus

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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Pour l’heure, l’ambassade entière venait de s’arrêter devant les grandes portes qui fermaient l’unique entrée de la ville. Sur un geste du sachem, les gardes ouvrirent solennellement les battants devant eux et un saisissant spectacle s’offrit à leurs yeux. Tous les habitants du lieu semblaient se tenir là, une multitude d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards, vêtus d’habits de fête et parfaitement silencieux. Ils se tinrent ainsi, immobiles, jusqu’à ce que s’élève parmi eux un battement de tambour lent et pénétrant. Il monta alors de cette immense foule une mélopée poignante, vibrante, envoûtante. La multitude se fendit docilement pour les laisser entrer ‒ il devait y avoir là deux ou trois mille personnes ‒ et les visiteurs furent éblouis de découvrir la cinquantaine de maisons longues qui se dressaient de part et d’autres de la voie centrale, colossales constructions au sommet arrondi, toutes de bois et d’écorces cousues ensemble, alignées le long d’une spacieuse allée que leurs guides leur firent emprunter et remonter jusqu’au centre de la cité, où une vaste place était aménagée.
...............
Enkari savait qu’il devait maintenant ramener le monstre en eau peu profonde, petit à petit, sans à-coup; il savait aussi qu’il s’agissait là d’une tâche titanesque, au-dessus des forces d’un seul homme. Sa seule arme était sa patience; il lui fallait épuiser le mastodonte, le laisser tirer à satiété. Ce moment était si unique, si exaltant, qu’Enkari se trouvait comme saisi d’une fièvre extrême, dans un état proche de la transe. Il se sentait connecté au Grand Esprit; et par le fait même, connecté à l’esprit du seigneur qui écumait de rage à l’autre bout du fil. Tout se jouait entre leurs deux intelligences, entre leurs esprits reliés par le fil; ils se mesuraient l’un à l’autre en ce combat ultime. L’un des deux repartirait vainqueur ce soir-là.
Enkari progressait très lentement vers la rive, avançant de temps à autre d’un pas, puis s’arc-boutant sur place afin de résister à la force titanesque qui voulait l’entraîner vers le large.
Enkari était épuisé. Sa seule consolation était de supposer que l’esturgeon l’était sans doute, lui aussi ‒ quoique l’énergie qu’il mettait encore à tirer sur la ligne sembla démontrer le contraire.
Quand il atteignit enfin un arbre assez gros pour résister à la Terreur des eaux douces, il en fit le tour plusieurs fois pour y enrouler la corde à mesure qu’il la déroulait de ses mains. Quand il eut enfin les mains libres, il attacha solidement la ligne au tronc et il courut jusqu’à l’endroit où il avait laissé sa lance. Ainsi armé, il se posta au bord du bassin. Il cherchait à percer l’obscurité des yeux, pour à tout le moins percevoir quelques remous qui lui révèleraient la position du géant. Mais le mastodonte était aussi silencieux que la mort, aussi invisible qu’un esprit.
Il lui fallut attendre que veuille bien sortir de derrière son voile la blanche gardienne des nuits, la lumineuse lune; et qu’elle daigne éclairer de son reflet la silhouette du mastodonte. La détente fut fulgurante : en un éclair, la lance d’Enkari s’était profondément fichée dans le dos du grand poisson. C’était gagné! Il n’avait plus qu’à attendre que le temps travaille pour lui, qu’il engourdisse sa proie en la vidant de sa substance. Le monstre se laisserait alors tirer de l’eau sans plus de résistance qu’un petit méné. Enkari s’agenouilla sur la neige pour remercier l’esprit du grand poisson : grâce à son sacrifice, Nakia et lui seraient bienvenus à Hochelaga…
……………
Le temps était frais, ce matin-là, à St-Malo. Le vent du large s’engouffrait avec violence dans l’anse autrement tranquille où mouillait l’Émerillon, toutes voiles descendues. Valsant sur l’onde agitée, le petit navire dressait fièrement son mat au milieu de bateaux certes plus puissants que lui, mais passablement moins glorieux : lequel d’entre eux pouvait se vanter d’avoir caressé de son flanc les eaux du grand fleuve, là-bas, dans le lointain Canada?
Un printemps tardif s’installait timidement sur la France. À cette heure matinale, le port s’éveillait encore des langueurs de la nuit et les quais étaient, par conséquent, relativement déserts. Thomas s’avança jusqu’à la limite des installations portuaires, là où seuls de grands rochers recevaient les flâneurs. Le bruit du ressac emplissait ses oreilles d’une musique puissante, obsédante, trouée de loin en loin par les cris outrés des oiseaux de mer qui se disputaient sur la grève les restes d’un mollusque échoué. Demain commencerait le chargement du petit navire de Cartier; et celui de quatre plus grands bâtiments avec lui ‒ dont la Grande Hermine, présent royal offert à son capitaine par sa majesté François en reconnaissance de ses bons et loyaux services en Canada.
Le départ était proche. Au fur et à mesure du passage des jours, la fièvre grandissait aux entrailles du matelot. Il rêvait depuis bientôt six ans du jour où il repartirait vers elle. Il n’avait jamais oublié Nakia. L’affliction qu’il avait perçue dans ses grands yeux noirs, sa farouche détermination, sa vulnérabilité qui perçait parfois dans un regard ou dans un geste, le savoir-faire qu’il avait pu observer chez elle, la grâce que dégageait toute sa personne… Elle l’avait séduit, sans jamais le chercher ni même le souhaiter, peut-être. Il gardait de son visage un souvenir ému; et quoiqu’avec le passage des années, la précision de ses traits se fusse sérieusement estompée, un émoi le chavirait encore lorsqu’il les évoquait. Était-ce là ce qu’on appelle amour?
Le fait est qu’il aimait le pays tout autant que l’Indienne; et il voguerait bientôt, très bientôt, vers eux. Le Canada résumait en lui tout l’attrait de son être ‒ attrait du cœur, attrait de l’âme, attrait des sens. Du perchoir d’où il contemplait la valse incessante des bateaux, plus lente et plus ample maintenant que le vent s’était un peu calmé, Thomas revoyait en pensée cette terre aimée, lointaine certes, mais plus que jamais accessible. Du haut du rocher où il s’était assis, il regardait grandir en lui la détermination… Il accomplirait bientôt ce qu’il projetait depuis longtemps. Il partirait s’établir en Canada. Il déposerait définitivement son sac de matelot et irait se mettre à l’école de ce vaste et généreux pays; là où un homme sans titre pouvait espérer s’ouvrir, à la sueur de son front, un avenir bon et prometteur.
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Nicolas referma le portail derrière lui et rejoignit Ozalee en courant. Elle marchait vers le fleuve à grands pas, cherchant à voir si le canot de son frère était toujours là. Amèrement déçue, elle constata qu’il n’y était plus.
— Wakisa est déjà parti, fit-elle avec rage, donnant un coup de pied sur un caillou qui s’en alla rebondir au loin.
— Je t’en prie, Ozalee, écoute-moi quelques minutes. Ensuite, j’irai te conduire chez toi avec la chaloupe, si tu veux.
Elle ne répondit rien mais lui jeta un bref regard. Un acquiescement ?
— Je vais te donner mon point de vue à ce sujet, d’accord ? fit Nicolas, soudain véhément. Il y a dix hommes pour une femme ici, Ozalee : il n’y a aucune autre explication à chercher ailleurs, je t’assure. Si ça se trouve, les prétendants de mes petites sœurs ont fantasmé sur elles en les regardant grandir dès qu’ils ont mis les pieds sur l’île, il y a neuf ans. J’espère que ça ne te choque pas trop que je te dise les choses de cette manière crue mais, au point où nous en sommes, s’enfarger dans les mots ne règlerait rien, pas vrai ?
— Ils sont là, comme des bêtes, à attendre qu’elles aient douze ans pour les prendre ? C’est dégoutant !
— Ils ne les prennent pas, Ozalee, ils les marient, et se conduisent envers elles avec civilité. Ils en prennent charge pour le reste de leurs jours, avec les enfants qu’elles leur donneront. C’est honnête, il me semble.
— Honnête peut-être, mais ils les marchandent tout de même à tes parents, comme s’il s’agissait de peaux de bêtes !
— Nos coutumes sont ce qu’elles sont ; imparfaites, peut-être.
Nicolas se sentait soudain ébranlé dans les convictions séculaires dont il avait hérité. Ozalee avait-elle raison de questionner cette façon de faire qui lui semblait si naturelle et normale ? Incertain du terrain mouvant où il s’avançait, il se replia en zone connue et il reprit d’une voix douce :
— Tu veux que je te raccompagne chez Mademoiselle Mance ?
Farouche, elle ne répondit rien.
— J’aimerais vraiment que tu restes, Ozalee. Je… commença-t-il en s’empourprant. J’ai envie que tu sois ici, avec nous, acheva-t-il, se ressaisissant.
Elle se retourna et prit sans un mot la route de l’Hôtel Dieu. Nicolas lui emboita le pas. Comment lui dire à quel point il la trouvait désirable avec son corps mûr de jeune femme ? Comment lui avouer qu’il l’avait toujours trouvé belle, depuis la toute première fois où il l’avait vue ? Comment, trouver des mots qui ne la blessent pas – elle qui était si choquée de leurs mœurs – des mots qui ne lui rappellent pas ce « marchandage » qu’elle honnissait ? Quels mots disaient un homme de sa race à elle, quand il souhaitait prendre femme ? Il tritura ces questions dans sa tête tout au long du chemin. Il n’avait rien résolu encore quand ils furent arrivés.
Lorsqu’il reprit le chemin de chez lui, il se sentait aussi lamentable qu’un poisson qu’on a jeté sur la grève.
……………
Ce soir-là, avant de s’endormir, Jeanne Mance et Ozalee eurent une longue discussion, l’adulte cherchant à démystifier pour l’adolescente leurs coutumes matrimoniales françaises.
— Mais toi, Ozalee, tu feras quoi quand se présentera un homme de ta nation qui voudra faire de toi sa femme ?
— Ça dépend… Si je l’aime, j’irai avec lui. Mais s’il ne me plaît pas, il n’aura qu’à passer son chemin : je le renverrai.
— Tes parents n’auront pas leur mot à dire à ce sujet ? Ils ne chercheront pas même à te conseiller dans ton choix ?
— Pas même. À moins que je leur demande leur avis, ils ne s’en mêleront pas. Ça ne concerne que les deux amants.
— Votre façon de vivre est très différente de la nôtre, Ozalee. Pour ma part, si j’étais ta mère, je te conseillerais de poser tes conditions à l’homme que tu choisiras. Avant de te donner à lui, je crois que vous devriez d’abord vous marier, en bonne et due forme. C’est de cette manière qu’ont été décidées les choses afin que les ménages mènent une vie ordonnée et calme.
— Et prévisible, oui ! Je ne me sens pas faite du tout pour ce genre de vie-là. Et même si vous arriviez à me convaincre que votre dieu bénit l’union d’une fillette avec un homme qui pourrait être son père, j’aurais tout le mal du monde à les imaginer enlacés sur leur couche, et tous les deux à l’aise de l’être !
Gênée d’aborder ce sujet délicat, Jeanne ne releva pas l’allusion.
— Est-ce que quelqu’un, au moins, a expliqué à Mathurine ce que son « mari » lui fera, le soir de leur mariage ? reprit Ozalee d’un ton virulent. Parce que, vous ne le savez peut-être pas mais, quand Françoise s’est mariée, on l’avait bien mal préparée ! Elle ne s’attendait pas vraiment aux genres de choses que son « mari » lui a faites ; et elle en a d’abord été choquée. Elle me l’a dit… enfin… elle me l’a plutôt laissé deviner. Pour ce qui est de moi, je vous jure, Jeanne, que je ne prendrai un homme avec moi que le jour où j’aurai envie qu’il me touche. Pas avant.
— J’imagine que leur mère les a tout de même un peu préparées…
— En leur disant que c’était leur devoir d’épouse de le laisser faire à sa guise, oui, et d’accepter ses caresses, même désagréables : c’est à peu près en ces termes que m’en a parlé Françoise.
— Le mariage comprend effectivement un certain lot de frustrations pour les femmes, ma fille ; et ce qu’on ne peut pas changer, il vaut mieux l’accepter.
— Votre mariage à vous, les Blancs, oui ! Si l’on voulait me marier ainsi, je préfèrerais mille fois faire comme vous, Jeanne, et rester célibataire. Cette condition est plus enviable que la leur, en tout cas !
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