Booktrailer du roman Les Résidents
Longtemps, je me suis figuré l’épilogue comme l’un de ces duels épiques qui clôturaient les westerns d’autrefois. Rue déserte, soleil de plomb, regards d’acier et revolvers rutilants. En lieu et place, je n’ai droit qu’au sol de béton poisseux d’une usine en ruine, à l’hiver glacial et à la douleur.
À présent, je ne bouge plus. Tout s’est figé autour de lui, le temps, le froid, la nuée de vapeur qui s’échappe de ma bouche entrouverte. Le monde extérieur tend toujours à se pétrifier quand on a le canon d’un automatique braqué sur le crâne.
Toute sa carrière, toute sa vie même, mon père l’avait consacré aux mathématiques. Avec opiniâtreté et honnêteté, jusqu'à devenir une sommité respectée de tous. À l’époque du cliché, il présidait déjà aux destinées de la fondation qu’il avait créée peu de temps après sa sortie de l’Université, et à la direction de laquelle il me prédestinait depuis toujours
La faune nocturne, hétéroclite et bigarrée, possédait ses propres règles, dont j'ignorai jusqu'à l'existence, mais que je dus, par la force de choses, apprivoiser.
Une image ne traduit qu'une part restreinte de la réalité.
L'homme avait son caractère, qui le rendait parfois insupportable. Une sorte d'électron libre dont le respect de la hiérarchie figurait au dernier rang des préoccupations. Bon vivant, obsédé par les femmes, comme pour s'affranchir de deux divorces calamiteux, il nourrissait bien plus d'affection pour ses élèves qu'il ne voulait le montrer.
On n’apprend rien en restant à l’écart.
Obsédé par les reflets métalliques du pistolet, je ne parvenais pas à recouvrer mon calme. Tout se brouillait dans mon esprit. Imperceptiblement, je sentis mes jambes à deux doigts de défaillir. Je n'avais pas le document sur moi, et n'envisageai à cet instant aucune échappatoire
— Qui est là ? demandais-je une fois dans le couloir.
Des pas sonores m’orientèrent alors vers l’angle de ce dernier, où j’aperçus subrepticement une ombre projetée sur le sol. Cette fois, plus de doute possible, je n'étais pas seul. Peu sûr de moi, j’avisai une vitrine de trophées sportifs accrochée au mur, au centre de laquelle une batte de base-ball attira immédiatement mon attention. Sans plus d'hésitation, j'ouvris la vitre et m'en saisis.
Nanti de cette arme improvisée, j'avançai lentement, attentif au moindre mouvement, lorsqu’une insidieuse incertitude m'envahit peu à peu. Et si tout cela n'était qu'un jeu ? Peut-être me trouvai-je, malgré moi, au cœur d'une farce d'étudiant qui n'avait d'autre but que de m'effrayer.
— Vous êtes le professeur Ashcroft, Kyle Ashcroft ? m’interpella-t-il.
J'hésitai un instant, puis me décidai à répondre. Ce que j'ignorai, c'est que celui qui venait de prononcer mon nom me connaissait parfaitement, sans pour autant que lui et moi ne nous soyons jamais rencontrés. En fait, il m'apparut presque familier, comme une troublante sensation de « déjà vu ».
J’ignorai encore si je pourrais tout lui raconter. Tout ce que fut ma vie au cours des quatre mois qui venaient de s'écouler, depuis cette nuit d'octobre où tout avait commencé…