Nous avons eu un grand nombre de preuves au vingtième siècle - pour peu que nous ne l'ayons déjà su par l'histoire - qu'il y a très peu de choses, sinon aucune, dont la méchanceté des hommes s'avère incapable.
L'ancienne phobie apocalyptique refaisait surface, cela ne faisait aucun doute.
Il était expert dans l'art de cacher ses sentiments, et il est certain que la plupart des personnes de son entourage étaient inconscientes du tumulte bouillonnant qui régnait dans son âme.
En fait, la principale fonction de l'établissement semblait être de servir de refuge aux personnes asociales, inadaptées et victimes de dépression nerveuse, auxquelles on se référait dans un langage codé comme étant " des personnes dans des périodes de transition de leur vie."
Il y a des choses que l'esprit se refuse à imaginer, la langue d'exprimer, et la plume de transcrire.
Il ne peut guère y avoir tâche plus pénible et plus humiliante que celle de dire à la femme aimée qu'on sait qu'elle vous ment, et qu'elle vous ment non fortuitement ou véniellement mais à un moment important, par calcul froid et avec mauvaise intention.
- Vous avez absolument raison, vous savez. Il y a en moi un double mouvement : je veux à la fois révéler et dissimuler. Révéler et, à travers vous, révéler à - qui sait ? Et dissimuler - à moi-même. Mais si je me dissimule des choses, il m'est impossible de vous les révéler. Que fait, alors ?
Il s'interrompit un instant. Je gardais le silence, sachant que lui seul pouvait répondre à la question.
- Je ne sais pas, reprit-il. Franchement, je ne sais pas si je suis capable de vous raconter cette histoire avec la sincérité émotionnelle que vous me demandez et sans laquelle il vous est absolument impossible d'écrire ce livre. Je ne vois qu'une solution : vous devez pallier mes manques. Vous mettre à ma place, essayer d'adopter mon point de vue, ma façon de penser et de sentir. Vous avez dit avoir soudain pris conscience que vous écriviez un roman. Bien. Alors faisons comme ça. Il n'y a pas d'alternative. Si vous vous sentez capable de le faire comme ça, ça me va. En fait, cela m'enlèvera un grand poids des épaules - un poids que je commence à trouver intolérable.
- Ce que vous voulez dire, observai-je benoîtement, après avoir pris une longue gorgée de bière fraîche et aromatique, c'est qu'il y a une démarche supplémentaire à accomplir, une autre étape dans votre progression métaphysique, le pèlerinage de votre vie. Vous êtes passé par les phases du déni, de la fuite, de l'auto-analyse, de la confession. Vous sentez, peut-être encore obscurément, qu'il y a un autre pas décisif à faire avant de pouvoir revivre avec vous-même, vous réhabiliter dans votre propre conscience. Elle frappe à la porte de votre cerveau, cette idée, mais vous ne lui avez pas permis d'entrer. Vous ai-je compris correctement ?
C'était un dimanche soir ; Torquil était en proie (et ce n'était pas la première fois, ces derniers mois) à un malaise insidieux, une angoisse diffuse et envahissante. Il reprit le livre qu'il relisait pour la deuxième ou troisième fois - Les Fanatiques de l'Apocalypse de Norman Cohn, ouvrage qui avait à ses yeux un intérêt beaucoup plus personnel que théorique. L'apocalypse exerçait depuis longtemps sur lui une fascination horrifiée. La vision de la fin de toutes choses était comparable à une faille profonde et étroite qui parcourait l'ensemble de sa rationalité et menaçait le contrôle rigide de ses émotions.
Il n'y a rien de tel que la nécessité pour rabaisser l'amour-propre.