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Critiques de John L. Steadman (1)
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H. P. Lovecraft and the Black Magickal Trad..

John L. Steadman, H.P. Lovecraft ad the Magical Tradition (Weiser books, 2015). Que voilà un livre passionnant. S.T. Joshi saluera cette contribution étayée sur un sujet important, fréquemment négligé par des chercheurs laissant trop souvent place aux exégèses romantiques. L’auteur est universitaire, mais a aussi pratiqué la magie occidentale dont il connaît parfaitement les grandes écoles. La démarche qu’il nous propose est de tenter d’éclairer la fabuleuse contradiction de l’Ermite de Providence, tour à tour écrivain baignant dans un occultisme sérieusement documenté et personnage affichant un matérialisme des plus mécanistes, matérialisme de surcroît teinté de racisme. Il s’interrogera longuement, et c’est là l’intérêt majeur de cette étude, sur l’incroyable descendance ésotérique du Prince Noir.



Pour nous mettre en bouche, l’auteur commence par nous expliquer ce qu’est la technique magique occidentale, tout en insistant sur le fait qu’il n’y a pas de magie blanche ou noire mais que c’est l’intention visée par l’opérateur qui lui donnera sa couleur. Le but recherché est toujours le même : puissance et pouvoir. La magie consiste à utiliser langage, gestes, symboles et objets pour établir le contact avec des entités qui ne sont pas des divinités, mais des « créatures » non-humaines (élémentaux, égrégores), et de les placer sous les ordres de l’invocateur pour parvenir à ses propres fins. On peut remonter la tradition de la magie occidentale aux rites babyloniens ou dyonisiens. Suit une liste très détaillée des « outils » nécessaires à l’opérateur, liste particulièrement bien faite puisqu’il s’agit pratiquement d’un mode d’emploi ! A noter que la technique magique n’est que l’une des trois voies de mise en relations avec ces élémentaux, les deux autres étant la prise de possession, par laquelle l’invocateur devient souvent victime, et le contact onirique.



Lovecraft était profondément matérialiste, ce qui ne l’a pas empêché de partager les avancées de la physique quantique telle qu’on commençait à la découvrir à son époque : tout est énergie, le monde est multidimensionnel, les particules s’affranchissent des notions d’espace et de temps. Mais il n’y a aucune contradiction pour lui, tout cela n’impliquant aucunement l’existence d’une surnature. Alors, pourquoi a-t-il inspiré tout un courant de l’ésotérisme ?



La première réponse se trouve dans les écrits même du Maître : cf Lettres à C.A.S du 17 octobre 1930 et à FBL du 27 février 1931, in Selected Letters). Ces deux documents, exhumés par John L. Steadman, sont d’une grande importance. Lovecraft y explique que les humains n’ont qu’une connaissance limitée de la réalité et que ses visions cosmiques proviennent d’Ailleurs, plus précisément d’un « réservoir subconscient de visions ». Il est du reste très explicite sur le sujet dans de nombreuses nouvelles. Ainsi dans Par-delà le mur du sommeil (1919) : Je me suis souvent demandé si la majeure partie des hommes ne prend jamais le temps de réfléchir à la signification formidable de certains rêves, et du monde obscur auquel ils appartiennent. Sans doute nos visions nocturnes ne sont-elles, pour la plupart, qu’un faible et imaginaire reflet de ce qui nous est arrivé à l’état de veille (n’en déplaise à Freud avec son symbolisme puéril) ; néanmoins, il en est d’autres dont le caractère irréel ne permet aucune interprétation banale, dont l’effet impressionnant et un peu inquiétant suggère la possibilité de brefs aperçus d’une sphère d’existence mentale tout aussi importante que la vie physique, et pourtant séparée d’elle par une barrière presque infranchissable.

Il existerait donc dans l’Univers des entités (entities or life-forms) capables de donner un véritable supplément à nos sens limités. Les Grands Anciens n’existent certes pas en l’état, et on s’est beaucoup mépris sur leur caractère divin. Mais ces formes sont plutôt de nature extra-humaine et ont inspiré la préhistoire de l’humanité. Encore une fois, il n’y a rien de « surnaturel » ici. Cela dit, il n’est pas surprenant que certains hommes cherchent à suivre le même chemin que lui pour découvrir les merveilles d’autres architectures, paysages, géométries etc… Les expériences les plus gratifiantes sont celles visant à « recapturer » des fragments de souvenirs flottant dans le subconscient. Mais s’agit-il vraiment de souvenirs ? Le rêve s’appuie sur la réalité et l’expérience du rêveur, qui subissent maintes transformations, marque de fabrique de l’onirisme. Mais quid des visions de cités fantastiques, de murailles cyclopéennes, de sculptures improbables, de gravures étonnantes et d’écritures inconnues ? Voilà matière à un large débat qui pourrait rejoindre les intuitions développées par Lovecraft dans A travers les Portes de la Clef d’Argent (1932-33) sur l’Archétype Universel (note annexe).

La seconde raison de cet impact de Lovecraft est dans la question même : il est un fait que divers groupes ésotériques se sont emparés de « l’ésotérisme » du Maître. Tel est le cas de Kenneth Grant qui dans ses Typhonian Trilogies fait le lien entre Lovecraft, les divinités dionysiennes et la magie sumérienne que l’on retrouve dans l’œuvre de Crowley dont il était le disciple. Même s’il est avéré que Lovecraft ne connaissait pas les travaux de ce dernier, Grant tire d’étranges résonnances entre le Al Azif et le Alvel Legis thélèmite. Tel est également le cas de Daniel Tyson qui, dans son Grimoire of the Necronomicon, voit dans les Grands Anciens des archétypes que l’on retrouve dans tous les mythes religieux. Intéressante est l’utilisation faite par Tyson des concepts de la physique moderne pour expliquer la magie lovecraftienne dont on a ici un bon résumé : Les Anciens ont été, les Anciens sont, et les Anciens seront. Non dans les espaces que nous connaissons, mais entre eux. (Necronomicon, page 757 in L’Abomination de Dunwich).



Lovecraft était loin d’être un spécialiste en sciences occultes. Mais il n’était pas non plus totalement ignare sur le sujet. Steadman montre que Lovecraft s’est intéressé à la magie noire à partir de 1910, principalement par le biais de l’étude des procès en sorcellerie de Salem. Il a notamment consulté l’ouvrage de Cotton Mather (1663-1728), Magnalia Christ, dont une première édition figurait dans la bibliothèque familiale. La thèse de ce religieux, controversée, développait l’idée que la sorcellerie n’était pas un phénomène ponctuel ayant frappé la Nouvelle-Angleterre, mais un véritable cancer minant la société américaine depuis sa fondation (cf Le Festival par exemple). La lecture du Culte des Sorcières en Europe Occidentale (1921) de Margaret Murray confortera Lovecraft dans cette idée et il écrira à son ami C.A.S. que ce dernier ouvrage est une fabuleuse mine d’inspiration (cf L’Abomination de Dunwih et Le Cauchemar d’Innsmouth par exemple). Une lecture similaire, celle des travaux de Montague Summers (1880-1948), complétera son « dossier ». Il mentionnera notamment dans une lettre à August Derleth de 1933 The Geography of the Witchcraft (1927) de l’érudit anglais.

Dans une lettre à Willis Conover (1936), il citera également les travaux de deux autres occultistes dont il s’est inspiré, Arthur Edward Waite et Eliphas Levi. Waite (1857-1942) était membre de la Golden Dawn et de la Stella Matutina. Lovecraft se réfère plus particulièrement à The book of Black Magic and of Pacts (1898) (cf notamment son influence sur Horreur à Red Hook et dans L’Affaire Charles Dexter Ward). Eliphas Levi (1810-1875) était l’un des plus célèbres magiciens du XIXème siècle. On lui doit notamment son Dogme et Rituel de la Haute Magie (1885). Plusieurs des invocations de L’Affaire Charles Dexter Ward lui sont empruntées. Steadman fait remarquer avec malice que Lovecraft ne comprenait pas toujours le sens de ses « emprunts » et que plusieurs des formules utilisées sont hors sujet !

Les deux « magiciens noirs » les plus aboutis de sa fiction sont Wilbur Whateley et Joseph Curwen. Mais en dehors de la technique rituellique classique, Lovecraft utilise fréquemment les deux autres canaux d’accès. La prise de contrôle du sujet par la possession est frappante chez Charles Dexter Ward, Edward Pickman Derby ou encore Nathaniel Wingate Pealse. Quant à la technique de l’exploration onirique, elle est fondamentale pour l’étudiant Walter Gilman.



Les rituels évoqués par Lovecraft ont pour but bien évidemment de rentrer en contacts avec les Grands Anciens. Ils ne sont cependant jamais décrits. Il s’appuie essentiellement sur des ouvrages maudits, parfois réels (The story of Atlantis and the Lost Lemuria, Scott-Elliot, 1896 ; le Sadducilus Triumphatus de Joseph Glandvil, 1681 ; the Daemonolatreiae de Nicolas Rémy, 1595 ou encore The Book of Dzyan, 1888). Mais l’essentiel des ouvrages utilisés sont des créations fictives dont le point d’orgue restera le Necronomicon pour lequel il ira jusqu’à rédiger en 1927 une notice bibliographique. Un ouvrage qui paraît tellement vrai que beaucoup voudront lui donner de la consistance, pour l’essentiel sous forme de mystification. On trouvera ainsi la version de Sprague de Camp, éditée chez Owlswick en 1973 et celle de George Hay, présentée par Colin Wilson et publiée chez Neville Spearman en 1978. On signalera encore le Cultus Maleficarium ou Sussex Manuscript, présenté en annexe du Guide to the Cthulhu Cult de Fred Pelton, publié en 1996 mais écrit dans les années 40 par un fan du Maître. Il convient également d’évoquer The Wandering of Alhazred de Donald Tyson (2004) qui n’est pas un Necronomicon mais une biographie romancée et imaginaire de l’auteur de l’ouvrage maudit.

Mais c’est au Necronomicon dit de Simon que Steadman accorde la place de choix, défendant la thèse qu’il ne s’agit pas là d’une plaisante mystification littéraire. Cet ouvrage, publié pour la première fois en 1977 chez Schlangekraft and Barnes, est le fruit d’un personnage mystérieux dont l’identité réelle suscitera bien des débats. Il s’agit d’un traité de magie sumérienne inspiré selon Simon par « the Mad Arab » et que John Steadman va décortiquer au scalpel pour arriver à la conclusion « que ça marche ». Ce qui bien sûr va laisser le lecteur sur sa faim et ternir quelque peu l’image de sérieux jusqu’ici laissée par le travail de l’universitaire. Qu’est ce qui « marche » en effet ? On aurait aimé que l’étude soit illustrée par quelques comptes rendus de séances d’invocations, un peu dans le même esprit que les journaux « d’entretiens angéliques » de John Dee.

L’ouvrage de Steadman se poursuit par une étude des différents Grands Anciens puis par une recherche de l’influence de Lovecraft dans les cultes vaudou, néo-païens, crowleyiens, sataniques et dans la magie dite du Chaos.



J’ai fermé ce livre avec beaucoup de questions en tête, mais surtout avec la vision claire d’un Lovecraft qui n’était certes pas un ésotériste, mais qui, à force de flirter avec la magie, a bien donné le bâton pour se faire battre. D’une certaine façon, il a été « rattrapé » par sa Création ». Comme il le faisait dire à son personnage dans Par-delà le Mur du Sommeil :

Je suis une entité comme celle que vous devenez vous-même dans la liberté du sommeil sans rêve. Je suis votre frère de lumière, et j’ai flotté avec vous dans les vallées flamboyantes. Il ne m’est pas permis de dire ce qu’est le moi éveillé terrestre de votre être véritable, mais tous nous sommes les vagabonds de vastes espaces et les voyageurs de multiples âges. Dans un an je serai peut-être un habitant de la sombre Égypte que vous dites ancienne, ou dans le cruel empire Tsan-Chan qui surviendra dans trois mille ans d’ici. Vous et moi avons dérivé dans les mondes roulant autour de la rouge Arcturus, et vécu dans les corps des insectes-philosophes qui rampent fièrement sur la quatrième lune de Jupiter. Combien l’être terrestre en sait peu de la vie et de ses étendues ! Combien mieux vaut pour sa tranquillité qu’il en sache si peu !

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