Le moine dit que là-haut il n’y a rien. Pour suivre son karma, il faut regarder près de soi sans fermer son cœur.
Au nord et au sud, isolant les hautes plaines, la ligne des djebels s'étire. Le feu a pris les jours précédents, consumant les flancs couverts d'arbustes, s'éteignant, se rallumant, éclairant la nuit d'une lueur de grenade mûre, marquant de signes sombres la pierrailles des ravins. Parfois, la fumée d'élève telle une nuée d'orage, comme si le feu allait faire venir la pluie. Des plages de vase pétrifiée apparaissent entre les rives des oueds. L'eau des puits jaunit. Comme des sculptures de sel les villages croulent dans l'air qui vibre. Des nuées de mouches tourbillonnent dans les rues étroites ; le long des murs de terre battue flotte un parfum de poussière et de charbon.
Les génies ont des impératifs qui leur sont propres, ils ne sont pas soumis aux critères conventionnels. Nous savons cela depuis des générations. Oscar Wilde, Somerset Maugham, le grand William Shakespeare lui-même… Si nous appliquions nos normes mercantiles à ces hommes, notre littérature serait réduite à des riens. Sans parler de la peinture, de la musique, et de la science bien évidemment.
Descendu du bus, l’homme crie.
Irum ne s’arrête pas. La haine l’a maintenue en vie, une vie sans avenir, sans enfant, sans homme qu’elle aurait pu aimer. Une existence de proscrite, d’ombre au visage marqué par le feu, condamnée à la honte et à la réclusion par la société qui l’entoure.
Irum court, habitée d’un calme serein. Son sacrifice prend un sens : elle va mourir en sauvant une femme et son fils. Ce n’est pas un suicide que l’Islam condamne. C’est un témoignage d’amour, un acte de foi.
Au début, l’homme ne disposait ni d’armes ni d’outils et l’agriculture n’existait pas. La terre était peuplée de prédateurs autrement plus féroces que ceux que l’évolution nous a laissés. Pour survivre, l’unique option de nos ancêtres était de s’emparer des proies tuées par les animaux. Les racines de ce besoin primaire sont ancrées dans nos gènes. L’envie de prendre aux autres est restée.
L’action déclenche un processus automatique à partir de l’hypothalamus, le système endocrinien et le système nerveux central s’adaptent, l’homme est capable de résister au stress. L’immobilisme, c’est l’état d’inhibition. Perte des défenses aux agressions extérieures, la porte ouverte à la dépression, à la maladie.
Chaque matin, les mollahs le tournent en ridicule devant ses camarades.
L’humiliation. La honte. Lui qui cherche à se faire oublier...
Ne plus être la risée de la madrasa. Échapper à ce rêve insupportable, ne plus mouiller son matelas, lutter contre le sommeil…
Il essaie.
La fatigue le submerge. Il pleure en silence. Des larmes de détresse. Intarissables.
Sa vie a été bouleversée. Que lui veut-on ? Coupé du monde qu’il a connu, pourquoi se retrouve-t-il plongé dans un univers incompréhensible où les visites aux enfants sont interdites ?
Les semaines passent. Ses mécanismes de défense se relâchent. Sa souffrance décline. Il ne mouille plus son matelas. Le processus psychique de terreur et d’enfermement a mis sa personnalité en lambeaux, gommé le souvenir de la vie qu’il menait auparavant.
Je ne suis pas un bienfaiteur, j’ai des frais, mais nous vivons une époque de grande confusion et offrir à un ami écrivain un tremplin pour le jackpot, c’est en quelque sorte aider à la revalorisation de la culture. Je pense que c’est même mon devoir.
La morale est fondée sur l’ego car elle implique un motif et la notion de récompense : le bien conduit au paradis, le mal en enfer, il faut travailler, payer des impôts, bla, bla, bla. Pourtant, l’existence consiste à s’emparer de quelque chose qu’on n’a pas. Ce désir est inscrit dans notre patrimoine génétique.
L’amour n’est ni un principe ni un concept, et certainement pas l’expression de la pitié.