Tant d'hommes avaient lieu de craindre le Traqueur, car personne ne savait qui serait sa victime.
— Ne pars pas, le suppliai-je.
—Je pars, répéta-t-il.
—Laisse-moi t'accompagner.
—Non. Il se peut que je ne revienne pas.
Nous nous sommes serré la main et j'eus l'étrange impression que je ne reverrais peut-être plus jamais Tarl Cabot. Ma main était crispée fermement sur la sienne et la sienne sur la mienne. J'avais compté pour lui et lui pour moi et voilà, aussi simplement que cela, comment des amis peuvent se séparer pour toujours, sans plus jamais devoir se rencontrer ni se parler.

Malgré ses protestations, elle fut saisie par le serf et jetée à plat ventre sur le tronc. Deux hommes lui immobilisèrent les bras; deux autres les jambes. Un cinquième homme, avec un épais gant de cuir, sortit un fer du feu; la chaleur faisait frémir l’air autour de son extrémité.
- Je t’en prie, Jarl, cria-t-elle, ne marque pas ta captive!
Sur un signe de Forkbeard, le fer fut appliqué sur la chair et y fut maintenu, fumant, pendant cinq ihns. C’est seulement quand il fut retiré qu’elle hurla. Elle avait gardé les yeux fermés, les dents serrées. Mais quand on avait retiré le fer profondément enfoncé dans sa chair, fumant, elle s’était mise à hurler, oubliant sa fierté, sa volonté ayant été brisée, longuement et misérablement, admettant du même coup qu’elle n’était qu’une fille marquée parmi les autres. La tirant par les bras, on l’éloigna du tronc. Elle rejeta la tête en arrière, le visage baigné de larmes, et hurla à nouveau de douleur. Elle regarda son corps. Il portait une marque. Tenue par le bras, elle fut poussée vers l’enclume, près de laquelle elle fut jetée à genoux.
Je m'appelle Tarl Cabot. Mon nom de famille passe pour venir du patronyme italien Caboto, raccourci au xve siècle. Cependant, que je sache, je n'ai aucun lien avec l'explorateur vénitien qui porta la bannière de Henry VII dans le Nouveau Monde. Cette parenté semble improbable pour bon nombre de raisons, parmi lesquelles le fait que les gens de ma famille étaient de simples commerçants de Bristol, au teint clair et couronnés d'un flamboiement de cheveux du roux le plus agressif. Néanmoins, ces coïncidences -même si elles ne sont que géographiques - ont laissé leur marque dans les traditions familiales : notre petite revanche sur les registres et l'arithmétique d'une existence mesurée en pièces de draps vendues. J'aime à penser qu'il y avait peut-être un Cabot à Bristol, un des nôtres, pour regarder notre homonyme italien lever l'ancre à l'aube du 2 mai 1497.
Elle resta figée, face à la couche, à son pied. C’était une captive. C’était une possession. Elle était possédée.
- Force-moi, souffla-t-elle.
Les captives savent qu’elles sont du bétail et aiment être traitées en tant que tel. En outre, au plus profond de chaque femme, il y a le désir, plus antique que les cavernes, d’être contrainte de céder à la domination impérieuse, magnifique, sans concession, d’un mâle, d’un Maître. Au plus profond d’elles-mêmes, elles souhaitent toutes se soumettre, vulnérablement et complètement, nues, à un tel animal. Cela est parfaitement évident dans leurs rêves;
Croyez-vous, demanda Élisabeth, s'adressant à Misk et à moi, que les femmes ne peuvent pas être braves? Les honneurs du danger seraient-ils l'exclusivité des hommes? Les femmes n'ont-elles pas le droit de faire de grandes choses pour leurs semblables, des choses importantes et belles? Tout ce qui est grand et lourd de conséquences ne serait-il réservé qu'aux seuls hommes? (Élisabeth, les larmes aux yeux, s'éloigna, puis pivota sur elle-même et nous fit face.) Moi aussi, je suis un être humain! déclara-t-elle.
Dans la foule, les cris aigus des femmes libres se confondaient avec ceux des esclaves, l'intensité de l'instant aplanissait les différences.

Si elle avait été agenouillée contre les barreaux, le corps, le visage, pressés contre eux, les bras tendus, acceptant que ses bras soient fouettés dans l’espoir vague de toucher le corps du gardien, alors peut-être aurait-elle été assez chaude. Il est fréquent que les filles qu’on envoie sur l’estrade soient tremblantes, brûlantes de passion. Souvent, elles frémissent et frissonnent à la moindre caresse du commissaire-priseur. Parfois, à l’insu des acheteurs, on les excite au pied de l’estrade, mais on ne les satisfait pas. On les voit alors, nues, sur l’estrade, et on les vend dans cet état cruel de frustration. Leur volonté d’intéresser les acheteurs à leur chair est parfois extraordinaire. Il arrive qu’elles hurlent de désespoir, désirant ardemment l’achèvement de ce qui a été fait à leur corps. J’ai vu des filles que le commissaire-priseur devait écarter de lui à coups de poing, simplement pour pouvoir les présenter correctement. Ces filles, naturellement, sont des esclaves qui ont déjà eu un maître. Les femmes qui n’ont pas été précédemment possédées, essentiellement les femmes libres, même lorsqu’elles sont nues et portent un collier, ne comprennent pas leur sexualité. Seul un homme, lorsqu’elles sont complètement sous sa domination, peut la leur enseigner. Une femme non possédée, donc une femme libre, ne peut jamais faire totalement l’expérience de sa sexualité. Par conséquent, bien entendu, l’homme qui n’a jamais serré une femme possédée dans ses bras ne pourra jamais comprendre complètement sa virilité. Le désir sexuel, cela mérite d’être mentionné, est diversement considéré par les femmes libres ; il est obligatoire, toutefois, chez les esclaves. On croit que la passion entrave, dans une certaine mesure, la liberté et l’intégrité de la femme libre ; elle est mal considérée parce qu’elle l’amène à se comporter, dans une certaine mesure, comme une esclave ; les femmes libres, par conséquent, pour protéger leur honneur et leur dignité, leur liberté et leur intégrité, leur individualité, doivent lutter contre la passion ; l’esclave, naturellement, n’a pas droit à ce privilège ; il lui est refusé par son maître et par la société ; alors que la femme libre doit rester calme et maîtresse d’elle-même, même entre les bras de son compagnon, pour éviter d’être véritablement " possédée ", l’esclave ne peut se permettre ce luxe ; ce sont les mains de son maître qui décident pour elle et elle doit, au moindre mot de son maître, s’abandonner, frémissante, aux chaleurs humiliantes de l’extase de l’esclave. Il n’y a que la femme possédée qui puisse véritablement procurer du plaisir.
Relius regardait Virginia ;du bout des doigts, il lui leva le menton et,pour la première fois, ses grands yeux gris et timides rencontrèrent son regard.

- Ce sont des esclaves exotiques, déclara Ho-Tu.
Cette expression s’appliquait aux esclaves sortant du commun. Les esclaves exotiques sont, en général, très rares.
- Dans quel sens? demandai-je.
Je ne m’étais jamais intéressé aux esclaves exotiques, tout comme je ne m’intéressais guère aux races de chiens et de poissons rouges que certains éleveurs terrestres considèrent comme des réussites triomphales. En général, on élève les esclaves exotiques en raison d’une malformation que l’on trouve divertissante. Mais l’objectif est parfois plus subtil et sinistre. On peut, par exemple, élever une femme dont la salive est empoisonnée; introduite dans le Jardin des Plaisirs d’un ennemi, cette femme est souvent plus dangereuse que le couteau d’un Assassin.
Ho-Tu suivit peut-être le cours de mes pensées car il se mit à rire :
- Non, non, dit-il. Ce sont des filles ordinaires, bien qu’elles soient particulièrement belles.
- Alors, en quoi sont-elles exotiques ? demandai-je.
Ho-Tu me regarda avec un mauvais sourire.
- Elles ignorent tout des hommes, répondit-il.
- Tu veux dire qu’elles sont Soie Blanche ? m’enquis-je.
Il rit.
- Je veux dire qu’elles vivent dans ce jardin depuis qu’elles sont nées. Elles n’ont jamais vu d’homme. Elles en savent pas qu’il en existe.
Je compris alors pourquoi je n’avais rencontré que des femmes.
Je regardai à nouveau les belles jeunes filles qui jouaient et se promenaient près de la piscine.
- Elles sont élevées dans l’ignorance complète, précisa Ho-Tu. Elles ne savent même pas qu’elles sont des femmes.
J’écoutai la musique du luth. J’étais troublé.
- Leurs existence est très agréable et très facile, expliqua Ho-Tu. Leur unique devoir est de s’amuser.
- Et ensuite ? demandai-je.
- Elles valent très cher, exposa Ho-tu. Parfois l’agent d’Ubar victorieux en achète une pour le festin de victoire des officiers de sa garde personnelle (Ho-Tu me regarda.) Cette nuit-là, on ajoute un somnifère dans la nourriture de la fille qu’il a achetée, puis on la fait sortir du jardin. On s’arrange pour qu’elle reste inconsciente. On la ramène à la vie au plus fort du festin de victoire de l’Ubar, en général complètement nue dans une cage pleine d’esclaves mâles, au beau milieu des convives.
Une fois de plus, je regardai les jeunes femmes.
- Assez souvent, poursuivit Ho-Tu, elles deviennent folles et on les tue au matin.
- Et si ce n’est pas le cas ?
- En général, répondit Ho-To, elles recherchent l’amitié d’une esclave qui leur rappelle les femmes du jardin et leur explique ce qu'elles sont, qu'elles sont femmes, qu'elles sont esclaves, qu'il leur faut porter un collier et servir les hommes.