La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée. Si élégante ou économique que soit une théorie, elle doit être rejetée ou révisée si elle n'est pas vraie, de même, si efficaces et bien organisées que soient des institutions et des lois, elle doivent être réformées ou abolies si elles sont injustes.
[...] Dans une société juste, les libertés de base sont considérées comme irréversible et les droits garantis par la justice ne sont pas sujets à des marchandages politiques ni aux calculs d'intérêts sociaux
[...] la justice interdit que la perte de liberté de certains puisse être justifiée par l'obtention, par d'autres, d'un plus grand bien.
Nous concevons la philosophie politique comme utopique de manière réaliste, c'est-à-dire comme une entreprise d'exploration des limites des possibilités politiques pratiques.(21)

Une des raisons de cette procédure est que l’envie tend à détériorer la situation de chacun. En ce sens, elle est collectivement désavantageuse. Supposer son absence rient à supposer que, dans le choix des principes, les hommes pensent seulement à leur propre projet de vie qui se suffit à lui-même. Ils ont un sens solide de leur propre valeur si bien qu’ils n’ont aucun désir de renoncer à l’un de leurs objectifs dans l’espoir que les autres en aient par là même moins de possibilités pour réaliser les leurs. J’élaborerai une conception de la justice sur cette base pour en voir les conséquences. Ensuite, j’essaierai de monter que, lorsque les principes choisis sont mis en pratique, ils conduisent à de systèmes sociaux dans lesquels il est peu probable que l'envie ou d’autres sentiments destructeurs soient forts. La conception de la justice élimine les conditions qui donnent naissance à des attitudes perturbatrices. C’est pourquoi elle est stable en elle-même.
Nous devons, d’une façon ou d’une autre, invalider les effets des contingences particulières qui opposent les hommes les uns aux autres et leur inspirent la tentation d’utiliser les circonstances sociales et naturelles à leur avantage personnel. C’est pourquoi je pose que les partenaires sont situées derrière un voile d’ignorance. Ils ne savent pas comment les différentes possibilités affecteront leur propre cas particulier et ils sont obligés de juger les principes sur la seule base de considérations générales.
… il est clair qu’une argumentation à partir de telles prémisses [de la position originelle] peut être entièrement déductive, comme dans le cas des théories politiques et économiques. Nous devrions tendre vers une sorte de géométrie morale, avec toute la rigueur connotée par cette expression. Malheureusement, le raisonnement que je présenterai restera bien en deça de cet idéal, dans la mesure où il est largement intuitif.
Dire qu’une certaine conception de la justice serait choisie dans la position originelle revient à dire qu’une réflexion rationnelle soumis à certaines conditions et à certains restrictions atteindrait une certaine conclusion. Si nécessaire, l’argumentation qui conduit à ce résultat pourrait être exprimée de manière plus formelle. Toutefois, je continuerai à utiliser la notion de position originelle.
... rappeler certains éléments d’un régime constitutionnel. Tout d’abord, l’autorité qui détermine la politique sociale de base réside dans un organe représentatif choisi pour une durée limitée par l’électorat et responsable devant lui.

Je pose ensuite que les partenaires [du voile d'ignorance] ignorent certaines types de faits particuliers. Tout d’abord, personne ne connaît sa place dans la société, sa position de classe ou son statut social ; personne ne connaît non plus ce qui lui échoit ans la répartition des atouts naturels et des capacités, c’est-à-dire son intelligence et sa force, et ainsi de suite. Chacun ignore sa propre conception du bien, les particularités de son projet rationnel de vie, ou même les traits particuliers de sa psychologie comme son aversion pour le risque ou sa propension à l’optimisme ou au pessimisme. En outre, je pose que les partenaires ne connaissent pas ce qui constitue le contexte particulier de leur propre société. C’est-à-dire qu’ils ignorent sa situation économique ou politique, ainsi que le niveau de civilisation et de culture qu’elle a pu atteindre. Les personnes dans la position originelle n’ont pas d’information qui leur permette de savoir à quelle génération elles appartiennent. Ces restrictions assez larges de l’information sont justifiées en partir par le fait que les questions de justice sociale se posent entre les générations autant que dans leur cadre, ainsi, par exemple, la question du juste taux d’épargne et celle de la préservation des ressources naturelles et de l’environnement. Il y a aussi, en théorie du moins, la question d’une politique génétique raisonnable Dans ces cas-là aussi, afin de mener à bien l’idée de la position originelle, les partenaires doivent ignorer les contingences qui les mettent en conflit. En choisissant des principes, ils doivent être prêts à vivre avec leurs conséquences, quelle que soit la génération à laquelle ils appartiennent.