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3.8/5 (sur 30 notes)

Nationalité : Canada
Né(e) à : Bruxelles, Belgique , le 09/06/1979
Biographie :

Joël Casséus est un écrivain québécois.

Il est titulaire d'une maîtrise en sociologie à l'Université de Montréal et d'un doctorat en sociologie à l'Université du Québec à Montréal.

Son doctorat porte sur l’émergence du capitalisme et des processus racialisés en Haïti.

Joël Casséus enseigne la sociologie au Cégep Vanier à Montréal.

Il a coécrit, avec Mathieu Blais, les romans "Zippo" (Leméac, 2010) et "L’esprit du temps" (Leméac, 2013), livre qui a valu aux deux auteurs d’être finalistes au prix Jacques-Brossard de la science-fiction et du fantastique québécois 2014.

Son premier roman solo, "Le roi des rats", est paru en 2015, toujours chez Leméac.

"Crépuscules" (2018) est son premier roman publié par Le Tripode

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Source : http://www.k-libre.fr
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VLEEL, Rencontre littéraire avec Joel Casséus, Demi ciel, Le tripode, février 2022


Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
Je suis devant le réchaud et la flamme bleue lèche le fond de la casserole et je comprends – contrairement à lui – que c’est peut-être tout simplement à ça que se réduit notre existence : un vieux restant de soupe de boue avec ce que je pense être du chou. Voilà à quoi est réduite toute une vie qui m’avait autrefois semblé si complexe, si pleine de promesses. Alors je me rappelle la vitalité qu’il avait avant et de la force que nous trouvions en réponse à tout le mépris qu’ils nous témoignaient et l’audace, l’audace de ne pas refuser la vie, de ne pas refuser de donner la vie et la lutte, la lutte incessante qui nous rendait de plus en plus forts face à toutes les embûches et la vie qui continuait et leur vie qui prenait, qui explosait parfois dans toute la force de l’enfance et leur rire et nos sourires qui étaient réapparus et maintenant cette soupe, cette bruine, ces nuages… eh bien, eh bien, regardez-moi un peu ça…
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La porte s’ouvre et je vois que c’est le père des jumeaux qui est accompagné par deux individus.
J’observe les nouveaux venus un peu mieux et je reconnais la femme enceinte avec un homme qui est visiblement son mari. Je finis de placer les verres derrière le comptoir et je fais un signe de tête et ils prennent place à une table. Alors je me dis que je devrais aller m’occuper d’eux avant que ma femme se plaigne des ivrognes qui finissent toujours par se trouver dans mon dépensier.
Je prends une bouteille d’assommoir et quelques tasses et je m’approche. Je mets trois verres sur la table et je me rappelle que la femme est enceinte alors j’en enlève un. Je verse l’assommoir et je regarde les hommes saliver pendant que le liquide se hisse jusqu’au rebord.
– T’as un wagon de libre ? me demande le voisin après avoir pris une première gorgée.
Je me retourne et je regarde si ma femme a entendu et elle est debout et me dévisage et lave un verre et elle secoue la tête comme si tout cela était de ma faute.
Je discute un moment avec le voisin et les nouveaux arrivants.
– Peut-être… enfin, je dois savoir c’est pour qui.
– Eux, il fait en désignant le couple d’un signe du menton.
Je les observe et je sens le regard de ma femme sur mon dos. Enfin… ils peuvent quand même pas dormir dehors. Surtout qu’elle attend un enfant.
– Vous venez de loin ? que je leur demande.
Le nouveau venu regarde les tatous sur ses mains et ne lève pas le visage. Alors je comprends qu’il ne va pas me répondre. Je sens toute la dureté de l’homme, je pense presque voir les épreuves sur les lèvres serrées. Je regarde la femme qui le dévisage et je vois qu’elle comprend quelque chose. Qu’elle est plongée dans ce qui ne peut pas être dit. Elle allonge la main et la pose sur celle de l’homme et celui-ci l’agrippe et lève son visage et la regarde. Comme s’il avait dérivé et qu’il s’accroche à elle pour ne pas sombrer. Je soupire et j’observe dehors et je m’attends à voir le soleil se coucher, mais il est peut-être déjà trop tard.
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Il est silencieux. Il observe les couleurs pareilles à celles que se trouvent sous l'autre moitié du ciel. Chaque fois que je retournais sous l'autre moitié du ciel après une expédition punitive ici, je restais stupéfait à observer toutes les couleurs. Elles ondulaient, caressaient les sens. Il était inutile de tenter d'échapper à l'apaisement qu'elles provoquaient puisqu'elles se trouvaient partout, exhibées sur les vêtements, les murs des édifices voisinant les allées pavées. Lorsque je revenais des expéditions, je cherchais à les éviter puisqu'elles me semblaient pareilles à un soleil rugissant, aveuglant, après toutes ces journées passées dans le gris et le noir morne sous ce demi-ciel. Je fermais les yeux et les images de massacres, de leurs corps que nous jetions dans les bûchers sous le poids écrasant du demi-ciel gris m'assaillaient, ainsi que la haine alimentée par une peur que nous cherchions à fuir. Cette haine, vive et profonde et sauvage comme les flammes : seul l'apaisement des couleurs frivoles et criardes pouvait la masquer.
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Il me regarde, ses yeux en disent beaucoup, il porte quelque chose d’énorme, de trop grand.
Je lui rappelle pas l’histoire du bâtisseur, je lui rappelle pas cette journée lorsqu’il reposait tout au fond des fosses, la tête écrasée. Je lui rappelle pas comme on l’avait trouvé si paisible comme ça, dans le ventre des fosses, puis comment il est devenu subitement si agité, qu’il a commencé à parler de ses jumeaux, de celui qui était mort, mais surtout de celui qui vivait encore et que c’était ça, c’était ça qui nous avait poussés à l’extirper des fosses. C’est à ça qu’il pense, lui aussi, à la façon que le bâtisseur était tout agité lorsqu’il a commencé à penser à son petit, comment on l’a aidé à sortir du ventre des fosses, comment on l’a amené jusqu’au camp, comment ça a pris un temps fou parce qu’il était tout agité, tout agité avec sa tête écrasée. Il aurait voulu rester paisible dans le ventre des fosses, ça, on le savait. On le savait tous. Mais il avait son petit. Alors on l’a sorti des fosses et on l’a amené à son petit.
Son petit l’a regardé, il a regardé sa tête tout écrasée et il se demandait, il se demandait qui c’était et ce à quoi il pouvait encore servir. Alors il a compris, il a compris même s’il l’avait toujours su, comme nous tous, qu’il aurait dû rester dans le ventre des fosses. Il est mort dans les herbes hautes, seul, avec sa tête tout écrasée. Il est mort comme ça, en pensant comme il était paisible dans le ventre des fosses. Il est mort comme ça, y a pas grand-chose qu’un homme peut faire.
Je lui parle pas de la mort douce, la mort des fosses, qui lui est refusée maintenant. Pas avec une petite. La petite dans le ventre de sa femme. Une petite qui va attirer ceux qui rôdent. Nous posons nos pelles contre nos épaules, nous prenons nos seaux et marchons vers les fosses.
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Les hommes s’étaient allongés le long du feu. On se passait la bouteille et on fermait les yeux et c’était bon. Mais la terre, les trous étaient encore là, la terre et les trous et les crevasses, les fosses qu’on creusait. Tout ça, ça hantait nos songes collés derrière nos paupières. On se voyait répéter les mêmes gestes, ceux qu’on a répétés des milliers de fois. Quelqu’un m’a passé la bouteille et j’ai jeté la tête en arrière et j’ai pensé à rien et c’était bon. J’ai senti le feu dans ma gorge, dans mon ventre, j’ai vu la terre humide et grasse, la terre qu’on creusait et qu’on jetait dans les seaux, je voyais la terre et la boue et les crevasses. « Viens avec moi, sergent, viens avec moi », il avait chuchoté. Mais j’ai rien dit. J’ai rien dit, je savais que demain allait être la même journée que celle que nous venions de passer, celle qui nous avait brisés. Que la seule chose qui pouvait nous permettre d’échapper à ce sort était l’horreur. Je l’ai entendu, mais j’ai rien dit. Il a pas insisté.
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- Pourquoi penses-tu que nous sommes prisonniers sous le demi-ciel ?
Il demande et je décolle mon visage et je vois alors ce qu’il regarde. Le mur est bleu contre le ciel noir. L’horizon est bloqué, ce qu’il peut y avoir outre les fosses, outre les plaines où rôdent ceux qui suivent l’odeur des femmes et des fillettes, nous est caché par la surface lisse du mur.
- Qu’est-ce qui te fait croire que nous sommes prisonniers ? je lui demande.
Je me remets à lui laver le dos et j’observe une fois encore la carte tracée là par les cicatrices. Cartographie de chairs meurtries, indiquant des sentiers et des routes débouchant sur les mêmes culs-de-sac. Il reste silencieux avec sa bouche ouverte d’où coule de la bave. Je sais qu’il devrait pas faire ça, je sais que c’est pour ça qu’ils l’appellent l’idiot, mais c’est tellement tendre de pouvoir l’observer en train de réfléchir, de tenter de donner un sens. Il y a le grattement furtif d’une bête minuscule toute proche, elle bouge doucement, comme si elle savait que son existence était menacée.
- Oui… T’as raison, il dit et je suis surprise de l’entendre parler. Ils pensent qu’ils sont prisonniers parce qu’ils pensent qu’ils doivent payer pour ce qu’ils ont fait. C’est la même chose pour moi quand je pense à maman, tout l’amour qu’elle m’a donné et que je lui ai pas redonné.
- Mais tu l’as donné à moi, je lui explique et il bouge la tête, mais s’arrête et il refuse de me regarder et j’observe son visage de profil.
- Peut-être que sous une autre moitié de ciel, il dit, il y a des gens qui vivent et qui n’ont pas à prendre ces terribles décisions, qui n’ont pas à faire les actes horribles qu’on doit parfois faire même si on le veut pas.
- Peut-être, je lui réponds.
- Peut-être que c’est pour ça qu’on fait tout ça, c’est pour ça qu’on vit comme ça, c’est pour ça qu’il y a toute cette brutalité et cette souffrance sous notre demi-ciel, peut-être que ça leur permet de mieux vivre, de vivre comme ils le font sous un autre demi-ciel.
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Il sait peut-être. Il sait sûrement. Ce ne peut pas être possible qu'il n'ait pas remarqué l'odeur. L'odeur des bombes qui provient de la ferraille. Parce que lui aussi, il a été chassé du vieux pays par les bombes. Et je sais que c'est impossible d'oublier cette odeur. Par ce que c'est tout ce que nous avait laissé le vieux pays, à l'exception des cauchemars et des cicatrices et des souvenirs. L'odeur des bombes, dans nos nez, sur nos vêtements. Je pensais que toute la route que j'avais traversée jusqu'ici faisait que je n'aurais plus à connaître cette odeur. Mais je comprends maintenant que j'ai quitté l'endroit où était enterré mes parents et ma famille pour un cimetière de bombes.
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Je me rappelle la mort de mon père. Je me souviens de la brutalité de la séparation. Il y avait une légère brise à l’extérieur de la caverne. Le silence, l’absence de mots, l’absence de sons, comme pour souligner qu’il n’y avait aucune explication à sa mort, qu’il n’y en avait jamais eu, et qu’il n’y en aurait jamais. C’est étrange comme les gens cherchent un sens à la vie, mais jamais à la mort. Confrontés à la mort, ils demanderont pourquoi, ils se révolteront face à ce qu’ils considéreront comme une injustice. Les plus lucides prendront conscience qu’ils croyaient encore que la vie, la mort pouvaient former une espèce de cohérence et toute leur colère se tournera contre eux puisque s’ils avaient su, ils auraient dit des paroles d’affection qu’ils n’ont jamais partagées avec ceux qu’ils aimaient. Alors tu soupires, tu prends sur toi et tu continues.
J’ai secoué le corps de mon père un moment. Sa chair lasse se défaisait en des lambeaux sanglants. Je ne pensais pas, je ne croyais pas qu’il était possible qu’il soit parti, qu’il m’ait abandonné. Je lui ai parlé. Je suppliais qu’il se réveille. Mais j’ai grandi. J’ai grandi en faisant taire les sentiments. Ces choses ne m’affectaient plus.
Elle avait remarqué, sur le bord de la mer alors que les vagues frappaient contre nos corps enlacés, la tendresse dans mes gestes. Elle m’avait dit que j’étais bon, que j’étais un homme tendre. Je l’avais dévisagée. Je ne lui jamais dit que j’ai dû enfouir tous mes sentiments afin de pouvoir continuer, survivre. C’est tout ce que peut faire un homme. Je lui ai jamais expliqué que tous les sentiments se faisaient aspirer et taire chez moi. Elle me trouvait tendre, elle trouvait mes gestes délicats. Mais elle ne comprenait pas comment je pouvais être aussi dur.
Je ne lui ai jamais expliqué.
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La terre regorgeait de minerais. Des hommes aux visages pareils aux bêtes délogèrent les indigènes avec fer et feu. Ces derniers s’installèrent dans les landes avec les semences de leurs arbres et de leurs histoires. Le temps passa, l’espoir de retrouver leur village s’effrita. Les histoires devinrent des mythes. Ceux qui rôdaient, aux visages poilus et armés de pistolets, étaient quelque part sur les plaines. Ils convoitaient le ventre fertile de leurs femmes et les minerais qu’ils extrayaient des fosses.
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- Qu’est-ce que c’est ? il demande et il a un sourire rayonnant et je veux rien dire.
- Un jouet, je finis par répondre. Je l’ai sculpté avec le petit jouet que t’as trouvé dans les ruines du dépensier.
Il est silencieux. Il observe les couleurs. Son sourire m’apaise. Son sourire brille. Ce sont des couleurs pareilles à celles qui se trouvent sous l’autre moitié du ciel. Chaque fois que je retournais sous l’autre moitié de ciel après une expédition punitive ici, je restais stupéfait à observer toutes les couleurs. Elles ondulaient, caressaient les sens. Il était inutile de tenter d’échapper à l’apaisement qu’elles provoquaient puisqu’elles se trouvaient partout, exhibées sur les vêtements, les murs des édifices voisinant les allées pavées. Lorsque je revenais des expéditions, je cherchais à les éviter puisqu’elles me semblaient pareilles à un soleil rugissant, aveuglant, après toutes ces journées passées dans le gris et le noir morne sous ce demi-ciel. Je fermais les yeux et les images de massacres, de leurs corps que nous jetions dans les bûchers sous le poids écrasant du demi-ciel gris m’assaillaient, ainsi que la haine alimentée par une peur que nous cherchions à fuir. Cette haine, vive et profonde et sauvage comme les flammes : seul l’apaisement des couleurs frivoles et criardes pouvait la masquer.
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