Marx dit qu'la vraie valeur, c'est c'que ça coûte à produire, et la plus grosse partie du prix de revient, c'est la main-d'oeuvre. Mais l'capitaliste, il lui faut sa part, qu'est bien supérieure à c'qu'elle devrait être, parce que les travailleurs sont en concurrence pour les emplois et acceptent d'être beaucoup moins payés que c'qu'ils devraient. Et, bien entendu, longtemps après que le capitaliste a récupéré son investissement, plus un bénéfice, il continue à exploiter les ouvriers. Et c'est là qu'intervient le syndicat ; pour essayer d'obtenir des hommes qu'ils cessent de s'entre-tuer pour le plus grand profit des capitalistes.
L'anarchie, c'est quand tous les gens cavalent dans tous les sens comme des dingues, expliqua Davis. C'est la populace, l'émeute. Prenons un exemple : est-ce que tu sais comment exploiter une mine, un haut fourneau ? Non, bien sûr. Et l'un ou l'autre de ces mineurs, il sait, en dehors de son propre boulot ? Bon Dieu non ! Tu saurais comment diriger une compagnie de chemin de fer ? Tu as les capitaux, la braise, le savoir-faire pour l'investir afin de démarrer une mine ou une compagnie de chemin de fer ? Il faut du pognon et du chou. Alors comment il va fonctionner, ce pays, si une bande de cocos et d'anarchistes prennent le pouvoir ? On reviendra au temps des cavernes.
Si c'était aussi simple, ça serait chouette, pas vrai ? Mais vaut mieux pas. On veut pas faire de prétendus martyrs. Ce qu'y faut, c'est qu'il fiche le camp. Comme ça, c'est comme si les gens en avaient marre de l'entendre déconner et exciter la racaille. En ce moment, y parlent de faire une loi anti-sédition, qui permettrait d'arrêter ces zèbres pour dénigrement du pays et de les foutre en taule pendant quelques années jusqu'à ce que tout le monde les ait oubliés. Mais y se contentent d'en parler et va savoir combien de temps ça prendra pour passer cette loi, à supposer qu'ils la passent. Non, le mieux, c'est de faire croire que les Vigilants l'ont fait filer.
Ils organisaient une sorte de procès, sans descendre de cheval, répondit Davis avec un vilain sourire. Y en avait qui se contentaient de les tartiner de goudron et de plumes avant de les chasser de la ville. Tu comprends, y avait pas de lois à l'époque. C'était le Far West. Un peu l'anarchie, on pourrait dire, sauf qu'on en était quand même pas là. En fait, d'après ce que je sais, un des pires hors-la-loi, c'était le shérif en personne. Ils l'ont pendu. Les gens, tu vois, étaient obligés d'agir par eux-mêmes. Et c'est un peu le cas maintenant.
Je vois. C'est un problème de loyauté, alors. Les hommes parlent souvent de loyauté, d'honneur. Franck est ton ami, je crois. Ou tu crois. Mais c'est aussi ton ennemi. Pour moi, il n'est qu'un sale petit Indien borgne qui n'a jamais rien fichu de sa vie mais a réussi à empêcher à peu près tous les hommes valides de Butte de travailler et de faire vivre leur famille comme ils le devraient.